dimanche 27 mars 2016

Riding in Cars with Boys (2001, Penny Marshall)

Éliminons d'emblée ce qui chagrine dans ce très joli film pour ne plus avoir à y revenir par la suite : une bande-son qui oscille entre les ponts-aux-ânes de la nostalgie sixties et une partition de Hans Zimmer au kilomètre tout en saccharose,  une première partie assez empruntée où les vicissitudes amoureuses de la jeune Beverly nous laissent de marbre (on doit en partie cette absence d'empathie au jeu de Drew Barrymore qui force un peu sur le côté gourgandine et qui, avec son drôle de fichu paraît presque tarte (oui, notre Drew, un comble!)). Et puis l'enfant paraît et tout change. On retrouve alors toutes les qualités qui nous avaient tant comblé dans les autres productions de James L. Brooks (Terms of Endearment, As Good as It Gets et plus récemment How Do You Know) : justesse du propos, finesse des situations, qualité d'écriture, distance vis-à-vis des convention hollywoodiennes.
Ecarts de Conduite (titre français réussi, il faut le souligner), adapte le roman autobiographique de Beverly Donofrio (qui s'est énormément impliquée dans le tournage)  qui voit les rêves d'ascension sociale d'une adolescente brisés net par une grossesse et le mariage subséquent. Confrontée à un mari négligent, immature et héroïnomane,  Beverly s'étiole et désespère, coincée dans une vie médiocre avec un enfant qu'elle voit comme une véritable entrave. Énoncé ainsi, le film fait peu envie, donnant le la d'une énième chronique misérabiliste. Sauf que le film est bien plus subtil que ça. D'abord parce que Jason (le fils de Beverly) n'est pas la victime toute désignée de l'incurie de son père et de la frustration de sa mère : c'est un petit garçon attachant, bien décidé à trouver sa place au milieu d'adultes guère réceptifs, ensuite parce que Beverly va finir par tirer de son expérience douloureuse suffisamment de matière pour écrire le livre qui donnera une raison d'être à sa vie (c'est sans doute cette partie-là qui rattache le plus ce film au très beau Knocked Up de Judd Appatow) et enfin et surtout parce que le film a l'immense mérite de laisser une chance à Ray (merveilleux Steve Zahn), le père de Jason et mari paumé de Beverly, de l'éloigner de tout ce qui pourrait ressembler à une caricature. Et notamment lors de la dernière rencontre père-fils, provoquée par Beverly afin d'avoir la jouissance des droits de son livre sans que son ex-mari réclame des dommages et intérêts. Celui-ci, sous l'influence d'une virago décatie fait mine de s'y opposer. Mais lorsqu'il sort de son minable bungalow pour dire adieu à Jason, il lui refile en loucedé l'accord signé et chiffonné et une dent de lait qu'il avait toujours conservée avec lui. Pas d'attendrissement, pas de  cordes mélodramatiques, juste la porte du bungalow qui se referme et Jason, seul avec sa dent de lait, armé désormais pour devenir adulte avec cette certitude que son père n'a jamais cessé de penser à lui.
Sorti en plein traumatisme post 9/11, le film fut un relatif échec commercial et à ce jour la dernière réalisation de Penny Marshall. En France, où la Low Middle Class, si bien dépeinte ici, constitue l'angle mort de la production cinématographique nationale (si je laisse de côté de pénibles comédies), le film passa hélas inaperçu. Il mérite une seconde chance.

Ce papier m'a été en très grande partie inspiré par une très riche conférence donnée par le critique des Inrockuptibles Jacky Goldberg au cinéma Le Gallia de Saintes dans le cadre des Lundis de l'université populaire organisés par Luc Lavacherie.