Acteur bourgeois cantonné jusque là
au cinéma de papa, Jean Desailly n'imaginait sans doute pas en devenant Pierre Lachenay pour François Truffaut qu'il s'agissait là
de son dernier premier rôle au cinéma. Le comédien de Jean Delannoy et le réalisateur des 400 coups se déplurent
instantanément et le tournage fut si difficile que plus jamais ils
ne retrouvèrent ensemble la lumière des projecteurs. Ce personnage
d'universitaire couvert d'honneur succombant aux charmes d'une jolie
hôtesse de l'air était peut-être trop près de lui ou trop loin de
ce qu'on lui faisait jouer habituellement (même si ses rôles
précédents étaient loin d'être sans faille (qu'on songe au tueur
à sa maman de Maigret tend un piège ou à François Schoudler)).
Qu'importe après tout que Jean Desailly ait refermé après la porte
de la Nouvelle Vague car son incarnation est de celle qu'on n'est
pas prête d'oublier (et, pour tout dire, à son corps défendant, son
plus grand rôle au cinéma). Tout en reconnaissait qu'il méprisait
l'homme, Truffaut admettait d'ailleurs bien volontiers qu'il «avait
bien joué le bourgeois coincé par les événements».
Soucieux de ménager la chèvre et le chou, onctueux (bien qu'un peu
impatient) avec les fâcheux rémois, cassant et distant avec une
femme aimante (très loin du stéréotype « mégère »
des femme trompées), bouleversé par la révélation intime que lui
apporte Nicole, il est ce séducteur fébrile (Que certains aient pu
y voir une préfiguration de Bertrand Morane n'a dès lors rien
d'étonnant. Même fétichisme pour les jambes gainées, même
trouble devant le pas décidé d'une femme marchant dans la rue à
vive allure), anxieux jusqu'au point de devenir presque fou lorsque
Nicole met fin de manière abrupte à ces rêves de « deuxième
vie ». Sonné par l'annonce de la jeune femme (« au
fond on aurait encore traîné quelque temps pour arriver au même
point... C'était inutile »), Pierre rechausse ses lunettes
afin de retrouver une contenance puis marche doucement jusqu'au
parapet de l'immeuble en construction. Une plongée subite
qu'accompagne un hautbois plaintif suit son regard à la recherche de
Nicole en contrebas. Celle-ci est déjà dans le taxi qui l'emmène
vers un autre ailleurs. Il y a dans cette plongée vertigineuse un
abîme qui, l'espace d'un instant, fait penser au suicide. Et, pour
tout dire, il s'agit là d'un des plus beaux plans du cinéma de
Truffaut, aussi fort que la tâche rouge du drap de Muriel dans Les
deux anglaises et presque aussi marquant que le regard caméra du
jeune Doinel dans Les 400 coups.
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