mardi 19 janvier 2016

La peau douce (1964, François Truffaut)

Acteur bourgeois cantonné jusque là au cinéma de papa, Jean Desailly n'imaginait sans doute pas en devenant Pierre Lachenay pour François Truffaut qu'il s'agissait là de son dernier premier rôle au cinéma. Le comédien de Jean Delannoy et le réalisateur des 400 coups  se déplurent instantanément et le tournage fut si difficile que plus jamais ils ne retrouvèrent ensemble la lumière des projecteurs. Ce personnage d'universitaire couvert d'honneur succombant aux charmes d'une jolie hôtesse de l'air était peut-être trop près de lui ou trop loin de ce qu'on lui faisait jouer habituellement (même si ses rôles précédents étaient loin d'être sans faille (qu'on songe au tueur à sa maman de Maigret tend un piège ou à François Schoudler)). Qu'importe après tout que Jean Desailly ait refermé après la porte de la Nouvelle Vague car son incarnation est de celle qu'on n'est pas prête d'oublier (et, pour tout dire, à son corps défendant, son plus grand rôle au cinéma). Tout en reconnaissait qu'il méprisait l'homme, Truffaut admettait d'ailleurs bien volontiers qu'il «avait bien joué le bourgeois coincé par les événements». Soucieux de ménager la chèvre et le chou, onctueux (bien qu'un peu impatient) avec les fâcheux rémois, cassant et distant avec une femme aimante (très loin du stéréotype « mégère » des femme trompées), bouleversé par la révélation intime que lui apporte Nicole, il est ce séducteur fébrile (Que certains aient pu y voir une préfiguration de Bertrand Morane n'a dès lors rien d'étonnant. Même fétichisme pour les jambes gainées, même trouble devant le pas décidé d'une femme marchant dans la rue à vive allure), anxieux jusqu'au point de devenir presque fou lorsque Nicole met fin de manière abrupte à ces rêves de « deuxième vie ». Sonné par l'annonce de la jeune femme (« au fond on aurait encore traîné quelque temps pour arriver au même point... C'était inutile »), Pierre rechausse ses lunettes afin de retrouver une contenance puis marche doucement jusqu'au parapet de l'immeuble en construction. Une plongée subite qu'accompagne un hautbois plaintif suit son regard à la recherche de Nicole en contrebas. Celle-ci est déjà dans le taxi qui l'emmène vers un autre ailleurs. Il y a dans cette plongée vertigineuse un abîme qui, l'espace d'un instant, fait penser au suicide. Et, pour tout dire, il s'agit là d'un des plus beaux plans du cinéma de Truffaut, aussi fort que la tâche rouge du drap de Muriel dans Les deux anglaises et presque aussi marquant que le regard caméra du jeune  Doinel dans Les 400 coups.