lundi 24 novembre 2014

Too Much Too Soon (1948, Art Napoleon)

A 48 ans, celui qui fut le plus flamboyant des Robins des bois, le plus énergique des General Custer et le plus indomptable des corsaires de sa majesté n'était plus que l'ombre de lui-même. Les excès en tous genre l'avaient profondément transformé. L'alcool était devenu sa compagne attitrée et les rôles de séducteurs et d'aventuriers avaient fini par l'abandonner. C'est bien simple, Erroll Flynn après 45 ans ne jouait plus, peu ou prou que des alcooliques. La taille était restée à peu près élancée mais le visage, autrefois si lumineux, si juvénile même aussi tardivement que dans Gentleman Jim ou Aventures en Birmanie était devenu bouffi et apathique. Une nouvelle génération d'acteurs (Burt Lancaster, Tyrone Power, Stewart Granger) pouvait certes prétendre retrouver le vif-argent des primes années hollywoodiennes du Diable de Tasmanie (celles de Captain Blood ou de Robin Hood) mais l'élégance, le sens du déplacement, l'effronterie presque féminine de ses meilleures prises de rôle était perdue à jamais.
A 48 ans, Erroll Flynn pouvait jouer, fait suffisamment rare pour être signalé, les hommes de 60 ans sans porter aucun maquillage.
Dans Too much Too Soon, il renouait avec la Warner 5 ans après The Master of Ballantrae. Il s'agissait pour lui d'incarner l'un des plus grands acteurs hollywoodiens, John Barrymore, qui avait vécu à la fin des années 30 un déclin alcoolisé assez comparable au sien. Flynn avait été le compagnon de beuverie de Barrymore et de ce que certains appelèrent le premier "Rat Pack" et il se sentait sans doute suffisamment proche du "Great profile" pour le jouer devant la caméra. Le film, librement adapté des mémoires de la fille de Barrymore, Diana, est construit en deux parties. Dans une première partie, Diana, folle d'admiration pour son géniteur, cherche à renouer avec ce père qui l'a délaissé au profit de sa carrière et de ses ami(e)s de "flambe". Dans la seconde partie, n'étant parvenu ni à faire "décrocher" son père, ni à devenir une grande actrice elle-même, Diana sombre à son tour dans l'ivrognerie avant un retournement final d'une mièvrerie rare. C'est évidemment la première partie qui fait tout le sel de cette production et notamment les échanges entre Barrymore (Flynn) et Diana (Dorothy Malone). Celui qui, du temps de sa splendeur Warner, n'avait jamais été considéré, à tort, comme un grand comédien mais uniquement comme un remarquable swashbuckler, trouvait enfin, au seuil du tombeau, le grand rôle dramatique qui lui manquait. Par deux fois, l'australien fantasque se hisse au niveau des plus grands. Il lui suffit, dans un très joli plan, de se rapprocher de sa fille dans la chambre qu'il a fait aménager pour elle et de lui expliquer en quoi le père est différent du mari négligent et égoïste qu'il fut (et tout cela dit avec cette inimitable voix flutée et si peu américaine) pour comprendre toute la puissance d'évocation de ce jeu tout en retenue. Un peu plus tard dans le film, il tente au téléphone de renouer les fils distendus avec la mère de Diana mais le téléphone sonne dans le vide et Flynn-Barrymore passe de l'attente la plus fébrile à la déception la plus amère. Mais, pour ne pas trop montrer son désarroi à sa fille qui lui conseille de rappeler le lendemain (cf. photo ci-dessus), il lance, bouleversant, entre fanfaronnade et prescience de ce qui va lui arriver (Flynn comme Barrymore) :" I was never much of a man for tomorrows". Un peu plus d'un an après, son cœur lâchait et la mort se chargeait de l'exaucer définitivement.