samedi 1 septembre 2012

Le désordre et la nuit (Gilles Grangier, 1958)

Avant de se ranger des bagnoles et de fermer à double-tour son pyjama, le Dabe mettait les bouchées doubles rayon emballage de minettes en cette fin des années cinquante. Après Nini et "Clo" (Françoise Arnoul), avant Yvette Maudet (Brigitte Bardot), Gabin séduisait Lucky Frider (Nadja Tiller, 23 ans dans le film et 28 dans la réalité), un quart de siècle plus jeune que lui quand même. Cette ancienne Miss Autriche n'est pas tout à fait du calibre de la môme Françoise. Elle minaude pas mal (bon, le rôle s'y prête il faut dire) et les séquences de manque font aujourd'hui sourire ( le sympathique Gilles Grangier n'ayant pas toujours la patte légère). Elle est bien meilleure dans les scènes d'hôtel avec Valois (Gabin) où, en le mettant face à ses contradictions, elle fait vaciller ses certitudes.Celui-ci, pour l'une des dernières fois, prend des libertés avec la morale bourgeoise. Il boit pendant le service, bâcle l'enquête, fréquente des rades interlopes, et enfin s'amourache d'un suspect,  junkie teutonne (Audiard dit "schleue") de surcroît. Six mois plus tard, après le scandale suscité par En cas de malheur, Gabin promet qu'on ne le verra plus au cinéma dans une situation compromettante et mettra la pédale douce sur les scènes de baiser et les relations adultérines (il ne voulait pas choquer ses enfants désormais en âge d'aller au cinéma). Il se fige alors dans une posture de Pacha pantouflard dont le Noël Schoudler des Grandes familles représente l'archétype. Ce qui ne veut pas dire bien sûr que toute sa filmographie post-1958 soit inintéressante mais la dimension marlou du bonhomme disparaît à tout jamais.
Ce n'est pas le moindre charme de ce film  de nous permettre aussi de retrouver la troupe des seconds rôles et des silhouettes qui gravitaient habituellement autour du "vieux" (sa "bande", quoi). L'inamovible Frankeur bien sûr, Robert Berri (en louche tenancier) et Jacques Marin dont les apparitions dépassent rarement la minute (on le voyait caresser en loucedé les fesses de Françoise Arnoul  dans Des gens sans importance). Avec son éternelle moustache en brosse, il incarne ici un cafetier un rien fastidieux. J'admire la façon dont il réussit en moins de trente secondes à faire vivre son personnage. Il est vrai que la réplique de Gabin qui met fin à l'entretien donne une nette plus-value à la scène (Je vous la laisse découvrir dans l'extrait ci-dessous). Audiard, qui pouvait se montrer baroque dans de spectaculaires tirades savait aussi se montrer brillantissime quand il la jouait à l'économie (je pense en particulier au génial "à la cave" lorsque dans Le cave se rebiffe, le dabe répond à Lepicard (Blier) qui lui demande où exposer ses magnifiques croûtes).