mardi 28 août 2012

Des gens sans importance (Henri Verneuil, 1956)

Un routier anonyme sur la Nationale 10 entre Angoulême et Bordeaux. Il est tenu par Barchandeau, un ancien routier cul de jatte (Paul Frankeur au premier plan de dos). Celui-ci, comme Monsieur Seguin avec ses chèvres, ne parvient pas à conserver ses bonnes et cette fois-ci, c'est Clo (Françoise Arnoul échappant à son emploi habituel de garce) qui vient lui signifier son congé. Gabin en 1956 n'avait pas encore fait le deuil des rôles d'amoureux transis marqués par la fatalité et son coup d'oeil vers Clo alors que son collègue (Pierre Mondy) est tout entier dans sa partie de babyfoot trahit un désir que 5 ans plus tard dans le choix de ses rôles il refoulera obstinément. Ce film, peut-être un des plus réussis de Verneuil (même s'il y manque la saveur des dialogues de Mélodie en sous-sol), cristallise le changement qui s'est opéré en lui depuis l'après-guerre. Le blond des cheveux est devenu gris-argenté, la silhouette s'est alourdie et l'ouvrier qui ne se laissait pas faire (le fameux "c'est ce qu'on verra" au début de La bête humaine) est obligé de quémander une place après avoir été licencié pour faute. Ce Gabin-là, à la croisée des chemins, vieillissant mais encore capable de se damner  pour la môme Arnoul ou Bardot est peut-être mon préféré. Car même renfloué par le succès de Touchez pas au grisbi (Jacques Becker, 1954), le Gabin d'avant les années 60 garde de cette  mélancolie propre aux victimes du destin, mélancolie jamais plus évidente que dans la très belle voix off qui précède la flash-back.