samedi 17 décembre 2011

Force of Evil (Abraham Polonsky, 1948)

Quel plan! Quel film!
L'avocat Joe Morse (John Garfield), les mains dans les poches, le regard dans le vide, s'apprête à brûler ses vaisseaux. Enfin lucide sur les motivations de son client et partenaire Ben Tucker, il vient de faire ses adieux à son très confortable bureau ( "I knew I would never come back to this fancy office again, I could see the cobwebs on the wall and a sign 'office for rent' for a smart young lawyer trying to get ahead on the world").
Wall street est désert au petit matin et Morse peut marcher seul au milieu de la chaussée sans risquer d'être renversé. Seul, Joe Morse l'est plus que jamais à ce moment-là du film, trahi par son associé déloyal et désavoué par Leo, le frère qui a préféré s'en tenir à sa petite banque de loterie clandestine plutôt que d'intégrer le combinat mafieux créé par Tucker. Il est fascinant de voir combien la caméra de Polonsky épouse à merveille l'accablement mais aussi la solitude de l'avocat corrompu en quête de rédemption. La diagonale créée par la rue est prolongée par le bras de George Washington qui semble à la fois pousser Morse un peu plus vers les abîmes et lui signifier : " Là où tu vas maintenant, il te faut descendre seul". La plongée accentue l'aspect "David" du combat de Morse contre les "Goliaths" de la pègre (mais aussi sans doute du capitalisme avide* (le lieu n'est évidemment pas choisi par hasard)). Écrasé par les buildings, coupant les ponts avec son corrupteur, Joe Morse tente de retrouver sa posture d'homme libre dans un combat désespéré pour sauver la tête de son frère, celui qui n'a pas failli.
Saturé d'images bibliques, Force of evil, ce diamant noir, est une adaptation incroyablement poétique ("How do you feel Joe ? I feel like midnight") de l'histoire d'Abel et Caïn à laquelle le jeu de Garfield, brutal, hermétique, crépusculaire donne toute son irrésistible force.

* : communiste convaincu (il le paiera d'un très sérieux "blacklisting"), Polonsky n'était pas du genre à penser qu'on pouvait raisonnablement s’accommoder du système économique prévalant aux Etats-Unis mais jamais ce film ne verse pour autant dans le prêchi-prêcha dogmatique (ce que conteste Christophe ici).

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