lundi 19 décembre 2011

Imitation of life (Douglas Sirk, 1959)

Comment ne pas comprendre la révolte de Sarah Jane (Susan Kohner) quand la seule perspective qui lui est offerte est une vie de labeur docile et de résignation à l'image de sa mère, Annie (Juanita Moore). Sirk n'est pas tendre pour celle dont le seul crime est de vouloir échapper à à une fatalité de domesticité. La brutalité avec laquelle son petit ami la frappe lorsqu'il découvre que sa mère est noire (dans ce qui est peut-être le moment le plus fort du film), l'aspect sordide des "bouges" dans lesquels elle officie montre assez que noire elle est née, noire elle restera. Sa couleur de peau (très claire) pouvait lui laisser espérer un tout autre destin, un destin comparable à Susie, la fille de la patronne de sa mère, Lora (Lana Turner) mais sa mère est le "boulet" qui l'empêche d'intégrer la "middle class" blanche.
Dans le plan ci-dessus, Sarah-Jane Johnson qui a changé son identité en Miss Linda, est devenue danseuse dans une revue "légèrement" déshabillée. Sa mère, qui sait la répugnance de sa fille à la voir s'immiscer dans sa nouvelle vie, n'a pas décliné son identité avant de frapper à la loge de Sarah-Jane. Malade, elle vient lui signifier qu'elle pourra toujours compter sur elle quoiqu''il arrive. Le miroir devant qui elle s'apprête à se démaquiller, renvoie à Sarah-Jane l'image de sa mère, elle vraiment noire de peau, image qu'elle cherche à effacer de sa vie ("I'm white, I'm white" lui assène-t-elle).
Cette séquence reflète parfaitement le malaise que j'ai ressenti tout au long du film, malaise autant imputable au matériau du film (le roman de Fannie Hurst) qu'à Sirk lui-même puisque je l'ai éprouvé de façon quasi identique durant le visionnement de la première mouture d'Imitation of life (John Stahl, 1934). Sous couvert de dénoncer les travers de la ségrégation (encore bien réelle au moment où le film est tourné), Imitation of life, montre que toute résistance mène à une impasse et que seule l'acceptation de sa condition permet la sérénité. Sans être un ardent révolutionnaire, on peut quand même se dire qu'en 1959, avoir pour seule ambition d'être une bonne dévouée et de réussir ses funérailles pouvait passer au mieux pour ambigu. Et c'est là pour moi que le bât blesse dans ce film. Sirk épouse le point de vue du personnage d'Annie, personnage qui ne trouve son épanouissement que dans une doucereuse servilité, qui est tellement attaché à ses chaînes, qu'elle ne comprend pas ou fait mine de ne pas comprendre qu'on puisse vouloir s'en débarrasser. Ce sempiternel sourire résigné qui barre son visage finit par m'inspirer une certaine lassitude pour ne pas dire un léger agacement. Dommage car Sirk demeure un admirable portraitiste de l' Amérique des années 50 (toute la séquence d'introduction sur la plage) et sait composer des décors saisissants (la rue louche du premier cabaret de Sarah-Jane).
Non, Imitation of life ne remplacera pas All That Heaven allows dans mon panthéon "Sirkien", qui proposait une figure féminine autrement riche et complexe qu'Annie ou Lora.
P.S : Il faut absolument voir le film dans l'édition collector de Carlotta vidéo pour ainsi pouvoir se délecter de l'analyse enthousiaste et passionnante de Sam Stagg.

samedi 17 décembre 2011

Force of Evil (Abraham Polonsky, 1948)

Quel plan! Quel film!
L'avocat Joe Morse (John Garfield), les mains dans les poches, le regard dans le vide, s'apprête à brûler ses vaisseaux. Enfin lucide sur les motivations de son client et partenaire Ben Tucker, il vient de faire ses adieux à son très confortable bureau ( "I knew I would never come back to this fancy office again, I could see the cobwebs on the wall and a sign 'office for rent' for a smart young lawyer trying to get ahead on the world").
Wall street est désert au petit matin et Morse peut marcher seul au milieu de la chaussée sans risquer d'être renversé. Seul, Joe Morse l'est plus que jamais à ce moment-là du film, trahi par son associé déloyal et désavoué par Leo, le frère qui a préféré s'en tenir à sa petite banque de loterie clandestine plutôt que d'intégrer le combinat mafieux créé par Tucker. Il est fascinant de voir combien la caméra de Polonsky épouse à merveille l'accablement mais aussi la solitude de l'avocat corrompu en quête de rédemption. La diagonale créée par la rue est prolongée par le bras de George Washington qui semble à la fois pousser Morse un peu plus vers les abîmes et lui signifier : " Là où tu vas maintenant, il te faut descendre seul". La plongée accentue l'aspect "David" du combat de Morse contre les "Goliaths" de la pègre (mais aussi sans doute du capitalisme avide* (le lieu n'est évidemment pas choisi par hasard)). Écrasé par les buildings, coupant les ponts avec son corrupteur, Joe Morse tente de retrouver sa posture d'homme libre dans un combat désespéré pour sauver la tête de son frère, celui qui n'a pas failli.
Saturé d'images bibliques, Force of evil, ce diamant noir, est une adaptation incroyablement poétique ("How do you feel Joe ? I feel like midnight") de l'histoire d'Abel et Caïn à laquelle le jeu de Garfield, brutal, hermétique, crépusculaire donne toute son irrésistible force.

* : communiste convaincu (il le paiera d'un très sérieux "blacklisting"), Polonsky n'était pas du genre à penser qu'on pouvait raisonnablement s’accommoder du système économique prévalant aux Etats-Unis mais jamais ce film ne verse pour autant dans le prêchi-prêcha dogmatique (ce que conteste Christophe ici).