samedi 23 avril 2011

Far From Heaven (Todd Haynes, 2002)


Cathy, desperate housewife du Connecticut vient de perdre son foulard. Elle fait le tour de la maison lorsqu'elle est surprise par son jardinier, Raymond, le foulard à la main. L'image est admirablement composée, avec cet arbre au milieu qui impose une frontière à nos deux protagonistes. Et en même temps, le foulard au premier plan, c'est la promesse d'un rapprochement, le négatif de ce tronc qui clive. La robe fauve de Cathy s'intègre à merveille dans ce décor automnal et trouve un écho sur la chemise du jardinier. Tous les éléments sont désormais en place, le (mélo)drame peut commencer.
Mes amis de gauche diront peut-être que mon goût pour les figures de sacrifice tire ses origines d'une tendance bourgeoise à la résignation, du refus de secouer l'ordre établi, bref d'une inappétence marquée pour les confrontations, quelle qu'elles soient. Je me livrais à cette réflexion à la vision des efforts désespérés de Cathy Whitaker pour maintenir la façade sociale et l'unité de la cellule familiale en dépit d'un mari "inverti" et d'une attirance pour son jardinier afro-américain. D'emblée, Cathy rejoint la galerie de mes personnages de fiction préférés aux côtés de James Stevens (
The Remains of the day), de Newland Archer (The age of innocence) et de sa quasi-jumelle, Carry Scott (All that heaven allows). Il faut dire qu'elle est magnifiée par l'éblouissant travail d' Edward Lachman, le chef-opérateur, qui utilisa pour le film les mêmes filtres que pour les mélodrames fifties de Douglas Sirk. Hommage ? Pastiche ? Film-karaoké ? Je ne sais quel terme choisir tant les références à l' oeuvre du maître de Hambourg et en particulier à Tout ce que le ciel permet abondent. Même cadre (une petite ville de nouvelle Angleterre), même nombre d'enfants, même meilleure amie à la fois compréhensive et normative, même prénom pour la pimbêche malveillante (Mona), même plan d'ouverture et de fin et bien sûr même activité professionnelle pour l'être aimé (jardinier). Et j'en oublie évidemment beaucoup. Seul le personnage de Frank, le mari homosexuel ne me semble pas faire écho à l' œuvre de Sirk (quoique Rock Hudson...) mais en 1955, le code Hays restait largement en vigueur (quoiqu'Antoninus dans Spartacus ...). Il est d'ailleurs amusant de constater que c'est lorsque Todd Haynes s'éloigne de son modèle pour adopter une approche plus réaliste qu'il intéresse le moins (le coup de fil de Cathy pour adhérer à la Naacp, Eisenhower à la télé). Mais pour l'essentiel, Haynes réussit parfaitement son pari qui est de faire non un film de plus sur les années 50 mais un véritable film des années 50 (et le choix de la partition d' Elmer Bernstein plutôt qu'un soundtrack fifties illustre bien cette volonté artistique).

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