lundi 28 février 2011

Gone with the wind (Victor Fleming, 1939)

C'est sans doute la peur d'être déçu qui m'a fait différer jusqu'ici le visionnement du film de tous les superlatifs. Cette même peur qui me fait reculer encore devant The Godfather ou She wore a yellow ribbon.
J'avais bien tort tant Gone with the wind se révèle une entreprise passionnante de bout en bout en premier lieu grâce à l'adoption d' un point de vue clair même et surtout parce qu'il s'agit du point de vue des vaincus. Ce qui était possible en 1939 serait aujourd'hui impensable.
Ma seule réserve majeure concerne étrangement Olivia de Havilland. Non pas qu'elle ne soit à la hauteur du rôle mais tout simplement parce que son personnage n'a rien à défendre. Perpétuellement dans la compassion et l'empathie, Miss Melly traverse les 3h30 du film sans montrer une once d'évolution. Son caractère, dont l'effacement est destiné à mettre en valeur celui de Scarlett, est d'une parfaite fadeur. Pas une parole plus haute que l'autre, pas un geste d'emportement, juste un sourire mielleux en toutes circonstances. J'avoue avoir du mal à comprendre pourquoi Livvie tenait tant à ce rôle. Elle alla jusqu'à risquer une éviction pure et simple de la Warner (au cas où Jack Warner aurait eu vent des auditions secrètes avec Selznick) pour décrocher ce rôle de Mélanie Hamilton.
Autant son personnage ne suscite chez le spectateur qu'un ennui profond, autant celui de Rhett emporte l'adhésion dès sa première apparition à Twelve Oaks. Cynique, roublard, joueur, aventurier, affairiste, Rhett Butler est un personnage en or auxquels pourtant bien peu ont cru avant que le film ne se fasse (Cooper qui fut un temps envisagé avant Flynn déclina en déclarant :"Gone With the Wind is going to be the biggest flop in Hollywood history. I’m glad it’ll be Clark Gable who’s falling flat on his nose, not me.") Même Gable, plébiscité par le public n'était pas chaud. L'échec de So red the rose de Vidor et d'autres films consacrés à la guerre civile n'était pas fait pour l'encourager mais la volonté de ne pas décevoir son public l'emporta sur ses réticences et il accepta à contrecoeur le rôle de Rhett ("I think I know now how a fly must react after being caught in a spider's web.")
Je n'ai jamais eu pour Gable la fascination que j'entretiens pour le Duke, Flynn, Grant, Mason ou Cliff mais celui qu'on surnomma The King of Hollywood m'a bluffé. J'irai même jusqu'à dire que lorsqu'il est absent du film, l'intérêt retombe. Bien sûr que j'aurai aimé voir le diable de Tasmanie en gentleman sudiste (il y aurait apporté vraisemblablement une touche plus sombre, plus insaisissable) mais je doute que Flynn aurait été capable de varier son jeu comme Gable. Il réussit absolument tout ce qu'il entreprend. Irrésistiblement gouailleur lorsqu'il surprend Scarlett après ses aveux à Ashley chez les Hamilton, sûr de lui avec un zeste d'arrogance lorsqu'il est seul parmi ses camarades sudistes à s'opposer à la guerre, incroyablement élégant lors du bal en l'honneur des combattants, valeureux lorsqu'il parvient à sauver Scarlett et Mélanie des flammes d'Atlanta, terrassé par le chagrin après la mort de Bonnie, cet homme possède tous les registres et je connais peu d'acteurs pouvant mêler aussi habilement une vraie hardiesse physique à un port aussi éminemment patricien.
Une scène lui posa pourtant beaucoup de difficultés. Lorsque Scarlett est alitée après une fausse couche provoquée par sa chute dans le grand escalier de Tara, Rhett est bouleversé. Lorsqu'on procéda au tournage, Gable ne voulait pas pleurer même si Fleming le souhaitait car il s'en sentait incapable. Olivia le prit à part et réussit à le convaincre. Gable y parvint et le plan reste l'un des plus forts d'un film en peu avare en moments épatants. Après un panoramique latéral partant du balcon sous la pluie, la caméra s'arrête en gros plan sur Rhett la main dans les cheveux, dévasté par le chagrin, incapable d'entendre Mélanie qui frappe à la porte. Pour ce seul plan, Gable aurait du obtenir cent fois l'oscar du meilleur acteur masculin. Le film en récolta 10 mais hélas pas Gable.

vendredi 25 février 2011

The snake pit (Anatole Litvak, 1948)

Au premier plan de La Fosse aux serpents, on aperçoit une branche de platane où deux oiseaux gazouillent puis un panoramique oblique dégringole sur une femme perdue dans ses pensées. Au second plan, les deux oiseaux s'envolent de l'arbre. Une voix d'homme se fait alors entendre hors-champ puis une deuxième voix, féminine celle-là mais toujours hors-champ et enfin Virginia, le regard halluciné, se met à parler à voix haute bien que la caméra n' offre aucun contrechamp d' un interlocuteur possible. L'effet est saisissant et on se dit que si Litvak tient tout le film à ce niveau, la découverte risque d'être d'importance.
La surprise n'est pas moins grande de découvrir Olivia de Havilland en Virginia Cunningham, cette femme internée pour schizophrénie au Juniper Hill State hospital. Mal coiffée, à peine maquillée, le regard apeuré, les épaules rentrées comme une petite fille, elle n'a plus rien à voir avec l'insolente Arabella de Captain Blood, ni avec les costumes chamarrés de Lady Marian. Dans un emploi prévu au départ pour Gene Tierney (qui dut décliner l'offre étant enceinte) *, Olivia est fascinante même si son rôle a tout du tremplin à oscar (que Jane Wyman lui chipera d'ailleurs pour son rôle dans Johnny Belinda). Multipliant les visites d'hôpitaux psychiatriques, Livvie se jeta à corps perdu dans cette prise de rôle comme pour faire oublier le temps perdu à endosser des rôles que Jack L. Warner lui imposait et qu'au fond elle détestait (que ce soit les faire-valoir d'Errol Flynn ou les filles à papa dépourvues de jugeote). Son modèle, c'était Bette Davis et elle voulut prouver qu'elle était capable de l'égaler. La transformation physique d'Olivia est bluffante (elle refera le coup l'année d'après avec The Heiress de Wiliam Wyler) et son travail de comédienne force le respect. Le problème vient justement de ce travail, parfois trop visible, notamment dans les scènes d'électrochocs. On est davantage impressionné qu'ému. Et sa prestation est à l'image du film. Sérieux, documenté, original (les films sur les dérives des institutions psychiatrique n'étaient pas légion alors), intriguant (le flash-back des vingt premières minutes est captivant) mais manquant d'une patte créatrice qui transforme un bon film à thèse (même si la vision de la psychanalyse demeure empreinte de naïveté) en un authentique chef d'oeuvre.
* : pour autant que j'apprécie l'incarnation de Livvie, j'aurais adoré voir Gene en Virginia!

dimanche 20 février 2011

The shop around the corner (Ernst Lubitsch, 1940)







C'est peut-être le plan le plus désespéré de toute l'oeuvre du berlinois. Plus encore que celui des immeubles varsoviens en ruine (To be or not to be, 1942) et bien plus que les scènes contrites de Broken Lullaby.
L'homme avec qui Klara (Margaret Sullavan) entretient une correspondance ne s'est pas présenté au rendez-vous qu'il lui avait fixé (ou plutôt, il s'est présenté mais ne s'est pas fait reconnaître). Klara a passé son humeur sur son collègue de travail (James Stewart) qui se trouvait par hasard dans le café du rendez-vous (en fait, le mystérieux correspondant). Elle se rend ensuite à la poste, espérant y trouver une lettre d'excuse. Après un rapide travelling sur les boîtes postales, le point se fait sur le numéro du casier puis sur la main gantée qui ouvre la boîte. Cette main palpe les parois de l'alvéole sans rien y trouver. Avec une incroyable économie de moyens (pas de musique extradiégétique, une image fixe), Lubitsch plonge le spectateur dans le plus parfait désarroi (d'autant que lui sait à l'avance que la boîte est vide). Sur l'image qui suit, Klara semble avoir vieilli de dix ans, faisant passer sur cette comédie une amertume qui contaminera jusqu'au happy end, plus désenchanté qu'à l'habitude.

mercredi 16 février 2011

Intermezzo : A love story (Gregory Ratoff, 1939)


N'est pas Sirk qui veut et tous les mélodrames n'ont pas la flamboyance d'All that heaven allows. Ils ne sont bien souvent qu'une collection de clichés, bien cadenassée par les règles puritaines du Code Hays. Et Escape to happiness (l'autre titre d'Intermezzo) ne fait hélas pas exception à la règle. Un violoniste, Holger Brandt (Leslie Howard) au faîte de sa gloire internationale s'éprend de la brillante professeur de piano de sa fille, Anita Hoffman (Ingrid Bergman). Pour elle, il abandonne le foyer familial et les deux s'installent momentanément sur la côte d'Azur mais le premier accompagnateur d'Holger vient (l'air de rien) le rappeler à ses devoirs et incite Anita (Ingrid Bergman) à s'effacer pour que le cercle familial se reforme, tout ça avec à la clé, punition divine pour le mauvais père (sous la forme d'un accident de la voie publique pour sa fille) et rédemption lacrymale pour tous. Le Code Hays autorisait la représentation de l'adultère à condition qu'il ne fut pas encouragé et dès les premiers plans sous le chaud soleil cannois, on pressent que l'idylle des deux tourtereaux ne va pas tarder à virer saumâtre.
Seuls le talent, le naturel et l'incroyable beauté d'une Ingrid Bergman d'à peine 24 ans nous ont fait tenir jusqu'au bout de ce monument de conformisme moral qui ne dure pourtant que 66 minutes. La suédoise (dont l'accent scandinave est dix fois plus perceptible que dans Notorious 7 ans plus tard) débarquait à Hollywood, pressé par Selznick qui, désireux d'en faire la nouvelle fiancée de l'Amérique, lui fit tourner ce remake d'un de ses plus grands succès suédois (tourné seulement 3 ans auparavant). Tout au long du film, elle ne se départit jamais complètement d'une certaine gaucherie (elle ne sait pas toujours quoi faire de ses longs abattis) mais les nombreux gros plans nous permettent d'apprécier son regard d'une ardeur déjà peu commune. C'est peut-être sur le plan dont sont extraits les deux photos ci-dessus que Gregory Ratoff met le plus en valeur son talent de comédienne . Sur un court plan fixe en légère contreplongée, Anita regarde pour l'une des dernières fois son amant s'exercer à la mandoline. Tendrement, elle détache son bras du mur et imperceptiblement s'efface du champ de vision pour devenir une ombre ("You don't look real in this light" lui dit Holger). Il ne faut qu'un léger mouvement de bras et une silhouette qui s'estompe pour qu'une immense actrice fasse immédiatement sentir sa différence.

samedi 12 février 2011

The Adventures of Robin Hood (William Keighley, Michael Curtiz, 1938)

C'est une question qui hante de nombreux cinéphiles : jusqu'où ces deux-là ont-ils été et quelle fut l'exacte nature de leur relation ? L'un des plus célèbres duos hollywoodiens de tous les temps (8 films en seulement 6 ans) fut-il davantage qu'un couple mythique à l'écran ?
Olivia de Havilland éprouva indéniablement pour le bel australien une attirance proche du coup de foudre sur le tournage de Captain Blood et Flynn ne fut pas insensible au charme de ses grands yeux juvéniles (rappelons qu'elle avait sept ans de moins que lui et moins de 20 ans au moment de leur premier film ensemble). Pour jouer avec constance les ingénues, Livvie n'en était cependant pas une et elle sentait confusément qu'une aventure avec une homme marié (Flynn était l'époux d'une actrice française sur le déclin, Lili Damita) aurait des effets déplorables sur la poursuite de sa carrière (ce qui restera d'ailleurs pendant très longtemps sa seule priorité). Dans le même temps, le diable de Tasmanie avait une façon bien à lui de montrer son affection. Sur le tournage de The charge of the light brigade, il multiplia les blagues à son encontre (comme glisser un serpent mort dans son paquetage) et sur Robin Hood, il n'hésita pas à lui saboter sa belle tirade du banquet dans la forêt de Sherwood en agitant nerveusement une brindille espiègle. Au contraire de ce que Flynn espérait, cela l'éloigna d'Olivia. Elle fut blessée par ces mauvaises manières et décida de lui jouer un tour à sa façon.
Avant d'aller plus loin, il faut, au préalable, replacer la scène dans son contexte. Sur l'insistance de Flynn, la réalisation de The adventures of Robin Hood avait été confiée à William Keighley (avec lequel il avait déjà tourné The Prince and the Pauper en 1937), un metteur en scène plus souple et plus amical que l'irascible Curtiz*. Oui mais voilà, Keighley avait accumulé les retards et ne s'était pas montré à la hauteur des espérances du producteur Hal Wallis en matière d'énergie et de mise en place des scènes de foule. Il fut donc débarqué et remplacé par le hongrois tyrannique qui en profita pour retourner quelques scènes dont Wallis n'était pas satisfait et notamment la scène d'amour entre Lady Marian et Robin après l'évasion du gibet. Curtiz ni Flynn n'étant du genre à s'attendrir, la séquence fut expédiée en moins de deux minutes (avec notamment un plan de coupe tourné antérieurement et en complet décalage par rapport au décor) avec simplement le plaisir de voir Errol et Livvie s'embrasser à pleine bouche (ce qui était très peu fréquent à l'époque). Selon la future Melanie de Gone with the wind, la scène préalablement tournée (et hélas, hélas, hélas, irrémédiablement perdue depuis) par Keighley était beaucoup plus tendre et sensuelle, l'occasion pour elle de rendre la monnaie de sa pièce à son si taquin partenaire. Laissons-lui maintenant la parole : "And so we had one kissing scene, which I looked forward to with great delight. I remember I blew every take, at least six in a row, maybe seven, maybe eight, and we had to kiss all over again. And Errol Flynn got really rather uncomfortable, and he had, if I may say so, a little trouble with his tights." Le message était on ne peut plus clair : Here's what you're missing, big boy !

* : Dans leur justement célèbre 50 ans de cinéma américain, Tavernier et Coursodon opposent le travail de Keighley et de Curtiz donnant tout le crédit du film au hongrois (et effectivement, le duel final (ah, ces jeux d'ombre !) est une splendeur !). Je serai moins sévère qu'eux avec Keighley qui dans un style plus détendu, réussit parfaitement toutes les scènes où Robin assemble sa troupe (j'ai un gros faible pour la séquence avec Friar Tuck (merveilleux Eugene Palette!))

mercredi 9 février 2011

Post coïtum animal triste (Brigitte Roüan, 1997)



Passer de la photographie de Ted Tetzlaff pour Notorious à la photographie de Post coïtum animal triste, c'est comme déménager de la villa Médicis pour un pavillon de la banlieue de Montluçon. Le choc est rude ! Pourquoi tant de films français des années 80-90 ont-ils une image aussi laide ? Était-ce une obligation contractuelle ? Pour que les chaînes de télévision en acceptent le financement ? Du film, il n y a hélas pas grand-chose de visuel à retenir. Métaphores légères comme une pile du viaduc de Millau (la chatte en chaleur qui ouvre le film, le petit nuage symbolisant l'extase...), esthétique de téléfilm, la forme est loin d'épouser les tourments de Diane. Le sujet méritait un traitement autrement percutant. Et, de fait, on observe la souffrance de cette femme abandonnée sans jamais éprouver d'empathie. A deux exceptions près dont ce plan où Diane vient demander des comptes à son jeune amant. Habillée à dessein comme une mondaine, elle détonne dans ce décor anonyme d'une salle d'attente d'une organisation humanitaire et face à un interlocuteur en tee shirt. Derrière Emilio, des posters d'enfants souffrants donnent une touche dérisoire au drame qui se joue au premier plan. L'arrivée d'une jeune figurante par la droite, se tenant donc du côté d'Emilio, confirme la fin de partie. Le temps de Diane est passé. Celle-ci refuse de jouer profil bas (regardez comme elle le toise !) et, aveuglée de fureur d'être abandonnée, donne un coup de boule désespéré à celui qui, quelques heures plus tôt, la comblait d'extase. Rare et beau moment de cinéma dans un film qui en compte si peu.

samedi 5 février 2011

The charge of the light brigade (Michael Curtiz, 1936)

Intrépide, loyal, impavide, Errol Flynn était le héros de mes dix ans. Qu'il soit affublé d'un collant (The Adventures of Robin Hood), botté à la proue du navire (The sea hawk) ou sanglé dans un uniforme de l'armée impériale, c'était mon idole, l'idole d'une époque où le second degré n'avait pas tout contaminé et où la musique était invariablement signée Max Steiner.
Trente quatre ans plus tard, la statue tient encore debout. Tout ce que j'ai pu lire sur lui ne me le rend pas moins fascinant. Bien au contraire. Moins marmoréen sans doute mais ô combien humain. Il me faudra une vie pour cerner tous les contours du personnage.
Wolfish et ce, jusqu'à son dernier souffle, lettré (il était doué d'un vrai talent de plume), instable (3 mariages et demie conjugués à une vraie bougeotte géographique), morphinomane (une addiction contractée en raison de problèmes de dos récurrents suite à ses nombreuses chutes de cheval), et bien plus encore, loin de l'image simpliste véhiculée par quelques biographes malveillants. Un misérable dont je tairai le nom a voulu le caricaturer en espion nazi, lui, le fervent défenseur de la République espagnole, vérifiant l'adage : "On ne prête qu'aux riches". A 50 ans lorsque sa dernière fiancée (Beverly Aadland, 15 ans) lui ferma les yeux, il avait parfaitement accompli la promesse qu'il s'était faite : "I intend to live the first half of my life. I don't care about the rest."
Mais, et je sens la question vous tarauder, était-il un grand acteur ? Son spectre était certes moins large que Stewart ou Grant (pour rester dans les acteurs de sa génération) mais il capturait la lumière comme peu (le Duke avait aussi cet immense talent là).
Entre Captain Blood (son film précédent) et The charge of the light Brigade, les progrès sont sidérants. Il a appris à jouer en deçà (underplay disent les Américains) et on peut considérer Curtiz (dont les aboiements l'horripilaient) comme en partie responsable de cette transformation. The charge n'est ni Gentleman Jim, ni They died with their boots on mais sous le froid soleil de Lone Pine, un acteur et pas seulement un swashbuckler est en train de naître. Pour la première fois aussi (même s'ils étaient déjà appariés dans Blood), une scène va matérialiser la magie du couple Errol Flynn- Olivia de Haviland. Replaçons-là dans son contexte. Geoffrey (Errol) vient de comprendre que sa fiancée Elsa (Livvie) en pince pour son gringalet de frère Perry. Même si la situation paraît hautement improbable (qui préfèrerait boire du Carré des vignes plutôt qu'un Montrachet ?) , Errol la joue grand seigneur et promet à Elsa de veiller à ce que son frère ne soit impliqué dans aucune opération militaire dangereuse en Crimée. Les derniers mots qu'Elsa adresse à Geoffrey dans cette séquence sont : " Tell him that his brother is the finest man I've ever known". Après ces paroles et alors qu'Elsa quitte la pièce, la caméra fait un léger travelling avant sur le visage de Geoffrey, faussement impassible (pas un sourcil ne bouge), intérieurement bouleversé. Pour la dernière fois dans le film, Elsa et Geoffrey sont réunis dans le même plan. En disant adieu à l'amour, Geoffrey se mue en figure de sacrifice et donne à son rôle une épaisseur que la seule vengeance contre Surat Khan ne pouvait lui donner. Flynn, bouleversant, ne faisant presque rien (le propre des géants) vient de signer sa première incarnation majeure.

vendredi 4 février 2011

Notorious (Alfred Hitchcock, 1946)

J'ai toujours pensé que l'agent Devlin annonçait Scotty Ferguson et qu'en matière de fétichisme, les deux faisaient la paire. Devlin comme Scotty avancent masqués. Devlin doit retourner la fille (Alicia Huberman) d'un espion pro-allemand afin qu'elle infiltre le milieu d'anciens nazis ayant fui le Reich pour l'Argentine. Mais cette mission est presque anecdotique au regard de ce qui motive réellement Devlin. Il lui faut vaincre sa peur des femmes. Derrière l'agent secret se cache un homme frustré, un homme pour qui le beau sexe est une espèce indéchiffrable.
Pour la première fois, le maître filme un personnage qui lui ressemble (Hitchock ne disait-il pas aux visiteurs qui s'aventuraient chez lui et en désignant la chambre à coucher, "la pièce où il ne se passe jamais rien").
Sur ce plan (4"04 après le début du film), Devlin, après qu'une Alicia passablement éméchée lui a proposé de faire un tour, ceint la jeune fille d'un foulard pour lui éviter de prendre froid. Il ajuste ici soigneusement le carré de tissus afin de cacher son ventre nu. On peut sérieusement douter qu'il cherche à la protéger de la rigueur du climat, la scène se passant en Floride. On peut plus sérieusement penser qu'il cherche à lui mettre la main dessus, aux deux sens du terme. A se l'approprier tout comme Scotty s'approprie Judy en changeant son aspect physique et sa garde-robe. Devlin est déjà Pygmalion, modifiant l'apparence d'Alicia pour qu'elle puisse séduire à nouveau son ancien fiancé, Alexander Sebastian. Le haut zébré de la jeune femme (Ingrid Bergman avait des épaules à laisser songeuse Laure Manaudou) n'a pas la sophistication des tenues qu'Alicia arborera en Argentine. Il suffit de comparer avec le sublime tailleur qu'elle portera dans un café de Buenos Aires. Difficile de ne pas lier la métamorphose entre les deux Alicia à cette rencontre même si elle n'est jamais explicitée.
Dans ce plan admirablement composé (ah, cette main agrippée au poteau du perron), je ne me lasse pas de contempler le regard d' Alicia vers la main de Devlin. Ce mélange d'ébriété maîtrisée et de consentement amoureux ajoute au trouble du spectateur qui, pur plaisir de voyeur, observe une femme devenir le fétiche d'un homme.