lundi 19 décembre 2011

Imitation of life (Douglas Sirk, 1959)

Comment ne pas comprendre la révolte de Sarah Jane (Susan Kohner) quand la seule perspective qui lui est offerte est une vie de labeur docile et de résignation à l'image de sa mère, Annie (Juanita Moore). Sirk n'est pas tendre pour celle dont le seul crime est de vouloir échapper à à une fatalité de domesticité. La brutalité avec laquelle son petit ami la frappe lorsqu'il découvre que sa mère est noire (dans ce qui est peut-être le moment le plus fort du film), l'aspect sordide des "bouges" dans lesquels elle officie montre assez que noire elle est née, noire elle restera. Sa couleur de peau (très claire) pouvait lui laisser espérer un tout autre destin, un destin comparable à Susie, la fille de la patronne de sa mère, Lora (Lana Turner) mais sa mère est le "boulet" qui l'empêche d'intégrer la "middle class" blanche.
Dans le plan ci-dessus, Sarah-Jane Johnson qui a changé son identité en Miss Linda, est devenue danseuse dans une revue "légèrement" déshabillée. Sa mère, qui sait la répugnance de sa fille à la voir s'immiscer dans sa nouvelle vie, n'a pas décliné son identité avant de frapper à la loge de Sarah-Jane. Malade, elle vient lui signifier qu'elle pourra toujours compter sur elle quoiqu''il arrive. Le miroir devant qui elle s'apprête à se démaquiller, renvoie à Sarah-Jane l'image de sa mère, elle vraiment noire de peau, image qu'elle cherche à effacer de sa vie ("I'm white, I'm white" lui assène-t-elle).
Cette séquence reflète parfaitement le malaise que j'ai ressenti tout au long du film, malaise autant imputable au matériau du film (le roman de Fannie Hurst) qu'à Sirk lui-même puisque je l'ai éprouvé de façon quasi identique durant le visionnement de la première mouture d'Imitation of life (John Stahl, 1934). Sous couvert de dénoncer les travers de la ségrégation (encore bien réelle au moment où le film est tourné), Imitation of life, montre que toute résistance mène à une impasse et que seule l'acceptation de sa condition permet la sérénité. Sans être un ardent révolutionnaire, on peut quand même se dire qu'en 1959, avoir pour seule ambition d'être une bonne dévouée et de réussir ses funérailles pouvait passer au mieux pour ambigu. Et c'est là pour moi que le bât blesse dans ce film. Sirk épouse le point de vue du personnage d'Annie, personnage qui ne trouve son épanouissement que dans une doucereuse servilité, qui est tellement attaché à ses chaînes, qu'elle ne comprend pas ou fait mine de ne pas comprendre qu'on puisse vouloir s'en débarrasser. Ce sempiternel sourire résigné qui barre son visage finit par m'inspirer une certaine lassitude pour ne pas dire un léger agacement. Dommage car Sirk demeure un admirable portraitiste de l' Amérique des années 50 (toute la séquence d'introduction sur la plage) et sait composer des décors saisissants (la rue louche du premier cabaret de Sarah-Jane).
Non, Imitation of life ne remplacera pas All That Heaven allows dans mon panthéon "Sirkien", qui proposait une figure féminine autrement riche et complexe qu'Annie ou Lora.
P.S : Il faut absolument voir le film dans l'édition collector de Carlotta vidéo pour ainsi pouvoir se délecter de l'analyse enthousiaste et passionnante de Sam Stagg.

samedi 17 décembre 2011

Force of Evil (Abraham Polonsky, 1948)

Quel plan! Quel film!
L'avocat Joe Morse (John Garfield), les mains dans les poches, le regard dans le vide, s'apprête à brûler ses vaisseaux. Enfin lucide sur les motivations de son client et partenaire Ben Tucker, il vient de faire ses adieux à son très confortable bureau ( "I knew I would never come back to this fancy office again, I could see the cobwebs on the wall and a sign 'office for rent' for a smart young lawyer trying to get ahead on the world").
Wall street est désert au petit matin et Morse peut marcher seul au milieu de la chaussée sans risquer d'être renversé. Seul, Joe Morse l'est plus que jamais à ce moment-là du film, trahi par son associé déloyal et désavoué par Leo, le frère qui a préféré s'en tenir à sa petite banque de loterie clandestine plutôt que d'intégrer le combinat mafieux créé par Tucker. Il est fascinant de voir combien la caméra de Polonsky épouse à merveille l'accablement mais aussi la solitude de l'avocat corrompu en quête de rédemption. La diagonale créée par la rue est prolongée par le bras de George Washington qui semble à la fois pousser Morse un peu plus vers les abîmes et lui signifier : " Là où tu vas maintenant, il te faut descendre seul". La plongée accentue l'aspect "David" du combat de Morse contre les "Goliaths" de la pègre (mais aussi sans doute du capitalisme avide* (le lieu n'est évidemment pas choisi par hasard)). Écrasé par les buildings, coupant les ponts avec son corrupteur, Joe Morse tente de retrouver sa posture d'homme libre dans un combat désespéré pour sauver la tête de son frère, celui qui n'a pas failli.
Saturé d'images bibliques, Force of evil, ce diamant noir, est une adaptation incroyablement poétique ("How do you feel Joe ? I feel like midnight") de l'histoire d'Abel et Caïn à laquelle le jeu de Garfield, brutal, hermétique, crépusculaire donne toute son irrésistible force.

* : communiste convaincu (il le paiera d'un très sérieux "blacklisting"), Polonsky n'était pas du genre à penser qu'on pouvait raisonnablement s’accommoder du système économique prévalant aux Etats-Unis mais jamais ce film ne verse pour autant dans le prêchi-prêcha dogmatique (ce que conteste Christophe ici).

samedi 30 juillet 2011

Twice in a lifetime (Bud Yorkin, 1985)

Ally Sheedy, encore et toujours, ici 8 mois simplement après le tournage du Breakfast club qui avait fait d'elle une demie-star .Dans Twice in a lifetime, son rôle est modeste et loin d'être le plus fouillé du film. Elle joue la fille cadette (Helen) d'un métallo (Harry Mackenzie interprété par Gene Hackman), décidé à ne pas passer le dernier tiers de sa vie dans la résignation conjugale et l'hypocrisie. Dans la séquence qui nous occupe, à la moitié du film, Harry, s'apprête à quitter le domicile familial pour sa nouvelle vie (il troque sa résidence suburbaine pour un petit appartement dans le centre de Seattle) et fait sa valise pour l'inédit. L'ambiance est pesante et un panoramique balaie les regards de chacun des enfants et des gendres rassemblés dans le salon. Tout le monde à la gorge trop serrée pour parler. Helen (qui comprend à défaut d'approuver le choix de son père) se lève, s'approche d'Harry, ferme les yeux en signe de douleur, de paix mais aussi de profonde affection filiale.



A moins d'être animé du plus parfait cynisme, je vous mets au défi de n'être pas secoué de sanglots spasmodiques sur votre canapé. Même succinctement, Ally confirmait ici cet incroyable potentiel auquel Hollywood hélas demeura presque totalement aveugle.
Pour plus de détails sur le film, lire ici.

mercredi 27 juillet 2011

The brood (David Cronenberg, 1979)


* attention spoilers *
Deux ans se sont écoulés depuis Rabid, deux ans qui voient Cronenberg passer de franc-tireur expérimental à cinéaste majeur. Musique (Howard Shore pour son premier film), cadrages, caractérisation des personnages, les progrès sont foudroyants. Dans sa critique (Positif n°227), François Ramasse parle d'un "scénario lacunaire" mais c'est justement une des raisons qui font que j'apprécie Chromosome 3. Cronenberg, en dépit d'une courte explication du Docteur Raglan (très convaincant Oliver Reed), néglige de nous donner le mode d'emploi du film, refusant de prendre le spectateur pour un attardé.

J'ai eu beaucoup de mal à sélectionner une séquence tant les images fortes abondent: Candy en plan large marchant dans la neige accompagnée de deux enfants "psychosplasmics", Nola dévoilant à Frank son bébé né par parthénogenèse , la même déchirant la poche du foetus mais le moment le plus terrifiant, c'est cette séquence alternée où Candy tente d'échapper à la portée (traduction littérale de "brood") meutrière tandis que Frank étrangle sa femme devenue une incontrôlable procréatrice de monstres. La violence qui émane de cette succession de plans aboutit à une catharsis particulièrement choquante : le corps sans vie de Nola répondant aux enfants anéantis sur le plancher du grenier. Cette fin flirte avec le règlement de comptes autobiographique tant le réalisateur de Shivers à cette période-là de sa vie cherchait coûte que coûte à récupérer la garde de sa fille que lui contestait son ex-femme. Difficile en effet de ne pas voir dans le plan ci-dessus un écho des préoccupations de Cronenberg. Candy, terrorisée, agrippée par ces bras intrusifs et menaçants, c'est très certainement la métaphore de sa propre fille confrontée à la communauté sectaire (ou du moins ce qu'il pensait tel à l'époque) qui gravitait autour de Margaret Hindson. Cela dit, nul n'est besoin de connaître ces détails autobiographiques pour éprouver le terrible malaise engendré par ces scènes. Comme le maître canadien l'avouait à Serge Grûnberg, "The brood, C'est l'anti Kramer vs Kramer" . L'un se veut réaliste alors que tout y sonne toc et compassé. L'autre refuse l'apitoiement et le naturalisme et tout y est moderne et juste

samedi 23 juillet 2011

Rabid (David Cronenberg, 1977)

Amusant clin d'oeil de David Cronenberg au mitan de son second film commercial, Rabid. Rose se promène dans les rues de Montréal lorsqu' apparaît sur sa droite une affiche de Carrie de Brian de Palma avec Sissy Spacek. Au départ, la texane rouquine avait été envisagée pour incarner l'insatiable suceuse de sang mais la production n'était pas chaude (son accent plus encore que ses tâches de rousseur joua contre elle). Ivan Reitman suggéra alors Marylin Chambers qui, à l'époque, n'avait pas encore tourné de films non pornographiques. Cronenberg, qui n'avait pas vu Behind the green door, était ravi à l'idée d'utiliser une actrice à la fois parfaite "girl next door" (n'avait-elle pas été l'égérie de Procter&Gamble pour la campagne Ivory snow) et en même temps peut-être pas 99 and 44/100 % pure comme le suggérait la publicité pour le fameux savon. Chambers s'avéra être un excellent choix même si Spacek devait entretemps devenir la reine du film d'horreur grâce à sa performance de Queen prom malgré elle. Dans un film terriblement froid (la façade en briques grisâtres de la clinique de chirurgie esthétique, les arbres dépouillés de feuille, la musique d'Ivan Reitman) où chacun des personnages semble désincarné ( Hart, le petit ami de Rose ne s'exprime que par onomatopées, le chirurgien insiste pour ne parler que de thérapie), elle apporte à son rôle une vitalité morbide, si tant est qu'on puisse utiliser cet oxymore, absolument épatante. Le martyre que Cronenberg fait subir à sa chair (d'une toute autre nature évidemment que celui subi dans BTGD) fait naître des visions qui pour être terrifiantes n'en sont pas moins parfaitement fascinantes. Difficile par exemple de ne pas succomber au trouble engendré par la vision d'un énorme dard phallique surgissant dessous l'aisselle gauche de Marylin Chambers.
Le plan ci-dessus va d'ailleurs sans doute au delà du clin d'oeil pour cinéphiles, associant au corps en mutation de Rose sans cesse agité de spasmes sanguinaires le corps déréglé de Carrie saisi frénétiquement de pulsions meurtrières.

vendredi 15 juillet 2011

Misfits (saison 1, épisode 2)


*attention spoilers*
Il y a dans le deuxième épisode de Misfits une séquence étonnante qui, à elle seule, suffit à justifier l'engouement pour cette série britannique originale. Nathan, le héros de la série, est un petit délinquant effectuant des travaux d'intérêt général en compagnie de quelques zozos de son acabit. La foudre les surprend et confère à chacun d'eux un super pouvoir (ce que chacun découvre dans l'épisode initial à l'exception de Nathan). Dans le second épisode, Nathan et ses "collègues" sont chargés d'égayer le thé dansant de pensionnaires d'une maison de retraite. Nathan fricote avec l'une des employées de cet établissement et se retrouve, après quelques péripéties dans son lit. Jusque-là, rien que de très banal. Mais cette jeune employée, au demeurant fort jolie, a elle aussi connu les affres de la foudre et s'avère en fait une sympathique octogénaire à qui l'orage a permis de renouer par intermittences avec ses jeunes années. En plein transport, Nathan découvre qu'il est chevauché non par une affriolante blondinette mais une femme d'un âge respectable. Cette image, même si elle apparaît très furtivement, d'une octogénaire se livrant à des ébats est suffisamment exceptionnelle pour attirer toute notre attention. La nudité et la sexualité des vieux est l'un des derniers tabous de notre société et qu'une série, à priori destinée à un public d’adolescents et de jeunes adultes s'y colle (même brièvement) m'a semblé relativement audacieux. De plus, et la photo l'atteste, il ne s'agit pas de plans cachant avec tact les ravages de l'âge (ce n'est ni Charlotte Rampling dans Vers le sud ni Bulle Ogier dans Les petits ruisseaux). Non, les plis, les rides sautent au visage et, Nathan lui-même, face à cette vision pour le moins surprenante, préfère abandonner la partie et aller se cacher dans les toilettes. Me vint alors à l'esprit les mots de Houellebecq s'insurgeant dans La possibilité d'une île contre le cinéma de Larry Clark et sa société de "kids définitifs". "Dans le monde moderne, on pouvait être échangiste, bi, trans, zoophile, SM, mais il était interdit d'être vieux". Ce qu'il y a de beau dans cette scène, c'est la vision d'un désir féminin qui va au delà de la date limite que le cinéma ou la télévision lui assigne d'habitude. Cette femme, en plein syndrome de Jocaste, profite du super pouvoir (et quel super pouvoir !) qui lui a été octroyé pour séduire un "beau gosse" qu'elle imagine plein d'ardeur (elle sera d'ailleurs légèrement déçue sur ce point) et jouir à nouveau. Cette revendication et sa représentation font passer un vrai souffle émancipateur dans le cadre formaté des séries télévisées. Alors, bien sûr, à la fin de l'épisode, la volcanique retraitée aura retrouvé son fauteuil et ses pantoufles et Nathan, rassuré, pourra lui passer une main bienveillante dans les cheveux. Mais avant que tout ne rentre dans l'ordre, un trouble, un frisson sera passé qu'on est pas près d'oublier.

mardi 26 avril 2011

Miracle on 34th street (George Seaton, 1947)



Pas la peine de biaiser sur ce coup-là ! Je me suis fait avoir comme un bleu !
Même si la magie de noël au cinéma a plutôt tendance à me déprimer, Miracle sur la trente-quatrième rue visionné par une belle journée ensoleillée d'avril m'a donné une sacré pêche. Le film a beau fourmiller de détails déplaisants (l'avocat de Kris Kringle (Santa Claus) n'hésite pas à faire témoigner le fils du District Attorney pour discréditer son adversaire mettant la parole de l'enfant au dessus de celle de l'adulte; Macy's (le grand magasin où Mr Kringle est employé) ne défend son père noël que parce qu'il est une affaire rentable), il n'en est pas moins parfaitement rythmé et très plaisant à suivre. La responsabilité principale en incombe à une distribution de premier ordre où brille avant tout l'oscarisé Edmund Gwenn en père noël à la remarquable conscience professionnelle (il n'hésite pas à se faire tirer la barbe pour montrer qu'il est vraiment Santa Claus). Il est aussi pertinent dans ce rôle qu'en prof de philo désabusé dans Apartment for Peggy (un an plus tard et toujours sous la direction du même George Seaton). Je me demande si dans son contrat, il n'était pas stipulé qu'il ne devait tourner qu'avec de jeunes et jolies starlettes puisqu'après Maureen O'Hara, il sera le partenaire de Jeanne Crain et Lana Turner (excusez du peu!). Je m'en voudrais de ne pas dire un mot de Natalie Wood (8 ans et déjà son cinquième film) qui en petite fille sceptique et finaude est proprement irrésistible (9 ans plus tard, ce sera une autre paire de manche). Il faut absolument la voir retrousser son petit nez en signe d'incrédulité lorsque Kris Kringle lui demande si elle croit encore au père noël.

samedi 23 avril 2011

Far From Heaven (Todd Haynes, 2002)


Cathy, desperate housewife du Connecticut vient de perdre son foulard. Elle fait le tour de la maison lorsqu'elle est surprise par son jardinier, Raymond, le foulard à la main. L'image est admirablement composée, avec cet arbre au milieu qui impose une frontière à nos deux protagonistes. Et en même temps, le foulard au premier plan, c'est la promesse d'un rapprochement, le négatif de ce tronc qui clive. La robe fauve de Cathy s'intègre à merveille dans ce décor automnal et trouve un écho sur la chemise du jardinier. Tous les éléments sont désormais en place, le (mélo)drame peut commencer.
Mes amis de gauche diront peut-être que mon goût pour les figures de sacrifice tire ses origines d'une tendance bourgeoise à la résignation, du refus de secouer l'ordre établi, bref d'une inappétence marquée pour les confrontations, quelle qu'elles soient. Je me livrais à cette réflexion à la vision des efforts désespérés de Cathy Whitaker pour maintenir la façade sociale et l'unité de la cellule familiale en dépit d'un mari "inverti" et d'une attirance pour son jardinier afro-américain. D'emblée, Cathy rejoint la galerie de mes personnages de fiction préférés aux côtés de James Stevens (
The Remains of the day), de Newland Archer (The age of innocence) et de sa quasi-jumelle, Carry Scott (All that heaven allows). Il faut dire qu'elle est magnifiée par l'éblouissant travail d' Edward Lachman, le chef-opérateur, qui utilisa pour le film les mêmes filtres que pour les mélodrames fifties de Douglas Sirk. Hommage ? Pastiche ? Film-karaoké ? Je ne sais quel terme choisir tant les références à l' oeuvre du maître de Hambourg et en particulier à Tout ce que le ciel permet abondent. Même cadre (une petite ville de nouvelle Angleterre), même nombre d'enfants, même meilleure amie à la fois compréhensive et normative, même prénom pour la pimbêche malveillante (Mona), même plan d'ouverture et de fin et bien sûr même activité professionnelle pour l'être aimé (jardinier). Et j'en oublie évidemment beaucoup. Seul le personnage de Frank, le mari homosexuel ne me semble pas faire écho à l' œuvre de Sirk (quoique Rock Hudson...) mais en 1955, le code Hays restait largement en vigueur (quoiqu'Antoninus dans Spartacus ...). Il est d'ailleurs amusant de constater que c'est lorsque Todd Haynes s'éloigne de son modèle pour adopter une approche plus réaliste qu'il intéresse le moins (le coup de fil de Cathy pour adhérer à la Naacp, Eisenhower à la télé). Mais pour l'essentiel, Haynes réussit parfaitement son pari qui est de faire non un film de plus sur les années 50 mais un véritable film des années 50 (et le choix de la partition d' Elmer Bernstein plutôt qu'un soundtrack fifties illustre bien cette volonté artistique).

dimanche 10 avril 2011

The privates lives of Elizabeth and Essex (Michael Curtiz, 1939)






De toutes les collaborations entre le Hongrois irascible et le Diable de Tasmanie, celle-ci apparaît avec le temps comme la plus difficile à encaisser. Le film souffre en effet de deux défauts rédhibitoires. D'une part, l'absence totale d'évolution des personnages entre le début et la fin du film (Elizabeth ne bouge pas d'un iota quant à sa conception du pouvoir (en gros "je suis la seule à pouvoir incarner mon pays alors que vous, bandes d'intrigants ne pensez qu'à votre pomme") et Essex veut bien épouser la reine à la seule condition d'exercer réellement le pouvoir). Ces deux-là sont de vraies têtes de mule qui préfèrent passer sur le billot plutôt que de se dédire. L'autre problème du film relève de la tromperie sur la marchandise. Sur l'affiche américaine (voir ci-dessous), on voit clairement Flynn défourailler sa rapière. Or, notre swashbuckler adoré n'utilise son épée qu'à la toute fin du film et encore, c'est uniquement pour la briser sur ses cuisses afin d'exprimer sa colère face à la félonie de la reine. Certes, on voit bien à un moment Essex guerroyer en Irlande mais Flynn, noyé sous les fumigènes (il fallait que ça suinte le marécage) est autant perdu que le spectateur. Le film se limite donc pour l'essentiel à d'interminables joutes oratoires entre la reine et son inflexible amant . Le texte est brillant mais on sent Curtiz et encore plus Flynn engoncés dans des vêtements qui ne sont pas à leur taille. Le tournage fut d'ailleurs pour l'australien une véritable torture et pas uniquement parce qu'il devait embrasser Bette Davis, Bette Davis dont le maquillage ferait passer celui de Boris Karloff dans Frankenstein pour un léger repoudrage. Non, le supplice, c'était d'apprendre des tirades toutes plus longues les unes que les autres. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'apprendre du texte n'a jamais été le point fort de Flynn. D'autant plus lorsqu'on a en face de soi une partenaire qui vous méprise et qui vous croit juste bon à crier "à l'abordage" sur un vaisseau pirate.
Dans My wicked, wicked ways, Flynn a des mots peu amènes sur Miss Bette Davis comme il l'appelle et donne des détails savoureux sur le tournage du film et notamment de la scène ci-dessus où Essex après avoir refusé le poste honorifique que lui confie la reine, prend congé d'elle en lui tournant le dos (ce qui est de la plus grande inconvenance). Elizabeth se lève alors de son trône et lui administre une terrible gifle. Laissons ensuite la parole au bel Errol : "She had lifted one of her hands, heavy with those Elizabethan rings, and Joe Louis himself couldn't give a right hook better than Bette hooked me with. My jaw went out. " Flynn, vert de rage, lui fait comprendre que si elle récidive pour la deuxième prise, il se fera un plaisir de lui répliquer avec la même force. Bette fit semblant de ne pas comprendre mais à la deuxième prise, Flynn écrit : " She did it in the most beautifully technical way. Her hand came just delicately to the side of my nose, missing by a fraction of an inch. I don't even believe she touched me, but I could feel the wind go by my face, and it looked technically perfect."

lundi 4 avril 2011

Corps à coeur (Paul Vecchiali, 1979)

Un électrophone dans un appartement modeste à Bicêtre. Le disque sur la platine, c'est le Requiem de Fauré par André Cluytens. La musique qui monte dans la pièce, c'est le Sanctus. Sur le plan suivant, après un léger panoramique, on voit un homme(Nicolas Silberg) , la trentaine, effondré parce que la femme qu'il aime, Jeanne (Hélène Surgère, disparue il y a une semaine) se refuse à lui. Ce qu'il y a d'incroyablement fort dans cette séquence, c'est la contradiction entre la musique qui évoque une "délivrance heureuse", un dialogue serein entre vivants et défunts et la passion aliénante que vit le garagiste pour la pharmacienne. Contradiction qui est au cœur même du projet du film; oscillant entre réalisme poétique (toutes les scènes dans la ruelle, pas mes préférées) et mélodrame flamboyant (l'escapade en Provence et la fin, où l'Amour côtoie la mort à la manière d'un opéra (admirable!)), Corps à cœur bouscule les codes du cinéma romanesque et même du cinéma tout court en multipliant les inserts (Jeanne apparaît en permanence à Pierre au point de l'aveugler) et les faux raccords (accompagnant le vertige des deux amants). Film d'amour fou, de la soif d'absolu à la déchéance, Corps à cœur est un antidote imparable aux fades histoires sentimentales qui très souvent encombrent les écrans et qui, elles, se terminent toujours bien !
Et aussi, quasi synchrone, cet avis éclairé !

vendredi 1 avril 2011

Sommaren med Monika (Ingmar Bergman, 1952)


Et si, en lui offrant sa Palme des Palmes en 1997, le jury du Festival de Cannes n'avait pas prodigué à Ingmar Bergman le fameux baiser qui tue ? Celui qui fut un des cinéastes les plus loués de son vivant par ses pairs (il me semble d'ailleurs qu'Antoine Doinel vole une photo de Monika dans Les 400 coups) n'est plus aujourd'hui qu'une référence culturelle lointaine, qu'on cite au passage mais dont on se garde bien de voir ou revoir les films, moi le premier. Il a été trop encensé , trop révéré pour ne pas encourir post mortem le purgatoire dévolu aux idoles d'hier. Le purgatoire serait mérité si son style avait irrémédiablement vieilli mais tel n'est absolument pas le cas. Du moins de Monika, le premier d'une série de Bergman que je promets de découvrir ou de redécouvrir.
Ce qui frappe le plus après tant d'années passées loin du suédois, c'est le soin extrême porté à la composition de chaque cadre même si cela frise parfois l'ostentation. On est tenté de mettre chaque plan en mode pause (d'autant que la photo de Gunnar Fischer est un régal !) et on n'est pas près d'oublier l'arrivée sur l'île de nos deux robinsons, entre rochers hospitaliers et ciels éblouissants. Mais la part la plus sidérante de son génie, Bergman l'a réservé au personnage de Monika, incarné par Harriet Anderssonn.

Tour à tour exaltée, égoïste, inconséquente, sensuelle (les justement célèbres plans dénudés sur l'ïle d'Ornö), révoltée mais plus que tout infiniment libre. Libre même d'adresser à la caméra l'un des regards les plus inoubliables de toute l'histoire du cinéma, mélange d'insolence (semblant dire au spectateur : "t'es qui, toi, pour me juger?"), de tristesse (une histoire se termine) et d'impudeur (renforcé par l'insistance du close-up).

dimanche 27 mars 2011

The day the earth stood still (Robert Wise, 1951)


Etrange coïncidence qui me fait visionner ce beau film de Robert Wise un peu plus de deux semaines après le déclenchement de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Film profondément pessimiste qui résonne singulièrement ces jours-ci ! Comme il faut une civilisation d'une intelligence supérieure pour que l'homme réalise que ses tribulations atomiques menacent l'avenir même de l'univers, il faut un phénomène naturel dévastateur pour que l'homme comprenne la vanité de ceux qui pensent qu'on peut jouer impunément avec l'atome. Mais, las, rien n'y fait, rien n'éclaire les aveugles ni n'alerte les sourds. Les avertissements sans frais de Klaatu (en particulier ce spectaculaire arrêt programmé de toute électricité et de toute énergie sur la surface de la terre pendant une demie heure (elle aura un tout autre effet dans Le village des damnés)) n'en peuvent mais, on choisit de l'abattre plutôt que de discuter.
La surdité des autorités américaines aux imprécations de Klaatu montre un monde qui préfère se refermer frileusement sur ses peurs plutôt que d'évoluer. L'idéalisme rooseveltien semble bel et bien condamné. Et lorsque Klaatu, interrogée par un reporter sur l'effroi suscitée par l'arrivée de la soucoupe volante, fait entendre son refus de céder aux sirènes paranoïaques ( "I'm fearful when I see people substituting fear for reason"*, le journaliste lui coupe sèchement la parole. Il y avait là, me semble-t-il, une dénonciation à peine voilée du climat de peur qui régnait sur les Etats-Unis (amplifiée à la fois par l'annonce des découvertes atomiques en URSS et par les difficultés des GI's en Corée) même si Tavernier y voit également une approbation de la politique extérieure américaine (après tout, comme Klaatu, les troupes de Mc Arthur se voulaient elles aussi porteuses d'une mission pacificatrice). Peut-être mais alors, comment expliquer que les soldats sous l'oeil de Wise soient systématiquement ridiculisés (Ils s'avèrent incapables d'entrer dans la vaisseau spatial) ou terriblement inconséquents (une balle dissuasive détruit le cadeau que Klaatu comptait offrir à la communauté humaine)?
Il est paradoxal que ce soit dans l'un des rares films où les extraterrestres ne soient pas montrés comme des envahisseurs que le spectateur se sente le plus menacé. Non par les capacités destructrices des aliens mais par les limites de l'intelligence humaines qui ne voit pas que la plus grande menace vient de l'humanité même.
Helen Benson (Patricia Neal) fait partie de ces terriens aveuglés dans leur entêtement et il faut une panne d'ascenseur intentionnelle (Klaatu veut prouver au monde l'imminence du danger) pour accélérer sa prise de conscience. Sur ce plan magnifique (il faut absolument rendre grâce à la photo de Leo Tover), Helen, métaphoriquement enfermée derrière les barreaux de ses préjugés cherche hors-cadre la raison de cet arrêt alors qu'elle se trouve toute proche dans la personne de Klaatu, ici mi-figure tutélaire (la stature de Michael Rennie domine nettement la sienne), mi- génie inquiétant (l'ombre qui se rapproche d'elle avec en fond, le theremin herrmannien).
* : écho assourdi du célèbre et inaugural "
the only thing we have to fear is fear itself." du président Roosevelt.

dimanche 20 mars 2011

Invasion of the Body snatchers (Don Siegel, 1956)

Une plongée sur un square dans une petite ville américaine au sud de la Californie. Une voiture de police s'arrête et des passants convergent aussitôt vers la petite place. Pas besoin d'être agoraphobe pour ressentir un terrible malaise. Pourquoi, si tôt le matin (dans le plan précédent, on apprend qu'il est huit heures moins le quart), ces "étrangers" (le docteur Bennell ne réalise pas encore qu'il s'agit bien des habitants de Santa Mira) se détournent de leur activité pour se rapprocher du monolithe au milieu du square? Ces citoyens bien tranquilles n'ont déjà plus rien d'humain que l'apparence et projettent de transformer le monde à leur image.
L'incroyable force de ce plan tout simple est double. D' abord parce que sans effets de montage, sans gros plan sur des visages lobotomisés, Siegel réussit à nous effrayer uniquement en montrant en plan large des gens marchant dans la même direction. Ils sont suspects de ce seul fait. Ensuite parce que l'ennemi n'est jamais clairement désigné : cette foule qui veut disperser les cosses dans les villages environnants, sont-ce les rouges ou au contraire sont-ce les agents du Maccarthysme ? La seule certitude est que ces "kidnappeurs de cadavres" ne supportent pas les voix discordantes, les voix de ceux qui n'acceptent pas leur unanimisme de clones régénérés. Il n'est pas anodin d'ailleurs que les deux mavericks (une figure de héros constante chez Siegel) traqués par les Body snatchers soient les deux seules personnes divorcées du film. Bien intégrés dans le village, ils n'en restent pas moins légèrement en marge, suffisamment du moins pour incarner les deux résistants au consensus totalitaire.
Et pour le reste, voyez Mariaque.

vendredi 18 mars 2011

Dodge City (Michael Curtiz, 1939)




Psychologie de comic book*, crédibilité limitée (Flynn, un westerner ?), rôles féminins impitoyablement sacrifiés (Ann Sheridan, en troisième position au générique, n'a qu'une ligne de dialogue à défendre), Dodge City a tout pour faire hausser les épaules des puristes, de ceux qui ne jurent que par les mânes de Mann ou de Ford (Stagecoach date aussi de 1939!).
Et pourtant je marche, je cours même à ces Conquérants ( titre français impossible) car toutes les réserves qu'on peut légitimement faire devant cet univers de convention disparaissent face à une telle énergie, un tel sens de l'aventure. Curtiz fouette son intrigue comme un vacher son troupeau. Les scènes d'action quasiment toutes en plan large sont splendides (de l'épatante course inaugurale entre diligence et locomotive au ferroviaire règlement de compte final en passant par la truculente bagarre du saloon (là aussi, le scénario épouse la cause sudiste)). Les seconds couteaux sont des épées (Ah Bruce Cabot ! Ah Victor Jory).Mais l'atout maître de Dodge City, c'est le technicolor, un technicolor Warner à couper le souffle. Rarement le ciel de la San Joaquin Valley(bien que le film soit censé se passer au Kansas) n'aura été aussi flamboyant et l'herbe aussi verte. Même Livvie en pleine dépression (elle a perdu 10 kilos dans les semaines qui précèdent le tournage, furieuse du refus de Jack Warner de la prêter à Selznick pour Gone with the wind) est rayonnante (certes, les maquilleurs n'ont pas lésiné sur le blush) et, même si son rôle de bas-bleu au milieu des rednecks est, une nouvelle fois, sans grand intérêt, l'alchimie du couple qu'elle forme avec Flynn, crève les yeux du tout-Hollywood !
* : pas impossible que Dodge City ait servi de modèle pour Daisy town

samedi 12 mars 2011

My Cousin Rachel (Henry Koster, 1951)


Lorsqu'on demandait à Daphné du Maurier si son héroïne Rachel était coupable ou innocente de l'assassinat de son mari Ambrose, elle répondait qu'elle n'en savait fichtre rien et que les doutes de Philippe, le narrateur, étaient aussi les siens. Pas étonnant qu' Alfred Hitchcock ait été aussi fasciné par l'univers de sa compatriote : dissimulation, jalousie, manipulation, empoisonnement y règnent en maître. My cousin Rachel offre d'ailleurs d'incroyables parallèles (et pas seulement parce que Frank Waxman signa la musique des deux) avec Suspicion sauf que cette fois-ci, c'est le personnage féminin qui porte sur ses épaules l'ambiguïté du film. Et tout au long de My cousin Rachel, le spectateur imagine ce que le maître aurait pu utiliser comme cadre, les inserts qu'il aurait su placer à tel ou tel moment clé . Pourtant, Henry Koster ne démérite pas, loin de là et le prologue près de la potence est d'une force gothique saisissante. Ce prologue est d'ailleurs un très adroit faux départ : le récit semble nous emmener sur les chemins du crime passionnel alors qu'au contraire Rachel semble préméditer chacun de ces gestes, chacune de ces paroles. Rachel, c'est Olivia de Havilland dans un rôle aux antipodes de ce que lui proposait la Warner dix ans plus tôt. Maîtresse d'elle-même, calculatrice, elle n'a plus rien de la fragile porcelaine qui servait de faire valoir à Flynn. Incompréhensiblement, Daphné du Maurier (qui n'appréciait guère que Rebecca comme adaptation de ses oeuvres) n'a jamais pu encaisser Livvie en Rachel. Elle y est pourtant formidable et j'irai jusqu'à dire, même si elle est brune dans le film, hitchcockienne. Onctueuse lors de sa première rencontre avec Philippe, elle sait se montrer passionnée lorsqu'elle l'embrasse pour la première fois puis froide et distante lorsqu'elle refuse de l'épouser. Pourquoi hitchcockienne ? Parce qu'elle est un savant mélange de sensualité contenue (ah, ces étreintes avec Burton!), de duplicité et d' équivoque (lorsque sur le plan ci-dessus, elle dit à son cousin : "Let me kiss you...there are still moments when I could swear that Ambrose lives all over again in you" , s'agit-il d'un aveu sincère ou du baiser de Judas ?)!
Peut-être parce que la fin refuse le confort d'une catharsis apaisante, le film ne fut pas un franc succès et Olivia de Havilland délaissa de plus en plus les tournages au moment même où elle était au sommet de son art !

dimanche 6 mars 2011

Garden of evil (Henry Hathaway, 1954)

Bertrand Tavernier, dans les bonus du DVD, confesse placer ce film parmi les 15 westerns majeurs et énonce avec conviction tout ce qui fait du Jardin du diable un film d'élection : le scénario, l'interprétation, la rudesse et la beauté des extérieurs. J'aurai plutôt tendance à lui emboîter le pas (moi aussi, j'apprécie la tension croissante distillée par le scénario de Fenton, les admirables plans larges crépusculaires qu' Hathaway avait pu apprécier chez Fleming lorsqu'il n' était que simple assistant, l'absence de péripéties détournant le spectateur du véritable enjeu du film (l'insatiable cupidité des hommes), la violence abrupte des scènes d'action) même si je suis plus circonspect sur les deux rôles principaux. Cooper que je préfère malgré tout ici que chez Lubitsch est moins enthousiasmant que dans mon souvenir (mais son personnage de shérif en quête de rédemption n'est pas très intéressant comparé à celui de Fiske (Richard Widmark, épatant comme toujours en joueur désabusé)) et Susan Hayward dans un rôle en or (une femme libre tiraillée entre un mari ingrat et des aventuriers guère recommandables) multiplie les mouvements de tête intempestifs comme si Lee Strasberg lui dictait son jeu.
Non, ce qui pour moi fait la singularité de ce film et qu'étonnamment Bertrand Tavernier passe sous silence, c'est la musique de Bernard Herrmann, sa seule incursion dans le domaine du western. Herrmann, sous haute influence straussienne et en particulier l'opéra Salomé (il suffit de comparer le prélude du film illustré par le plan ci-dessus et les divagations (écouter à 40 secondes de l'extrait) de l'héroïne post-romantique pour en avoir le coeur net ), compose une partition torturée faisant de chaque passage d'obstacle (en particulier les plans magnifiques sur la corniche) une odyssée métaphysique. En ajoutant ce poids fatidique au film, Herrmann donne au film d'Hathaway une dimension philosophique passionnante. Il ne s'agit plus simplement de 4 intrigants à la recherche d'une hypothétique récompense mais d'hommes seuls confrontés à la précarité de leurs destins.
A lire ici aussi évidemment

samedi 5 mars 2011

Days of wine and roses (Blake Edwards, 1962)


Attention, le contenu de cette chronique dévoile la fin du film

Une dernière fois, furtivement, Kirsten se retourne vers l'appartement où résident Joe, son mari et Debbie, sa fille. Sur cette plongée (le plan est filmé de la fenêtre où Joe la regarde), sa silhouette s'estompe lentement. Les seules sources lumineuses sont l'immeuble, un lampadaire, un panneau lumineux et une enseigne clignotante où s'affichent ironiquement les trois lettres BAR. Dans ce film essentiellement nocturne, Kirsten, pour ce qui est son ultime apparition à l'écran, s'enfonce dans les ténèbres sans véritable espoir de retour.
En 1962, Blake Edwards n'avait pas peur de briser le sacrosaint cercle familial et refusait au spectateur un happy end consolateur. Pour cette entorse inattendue (jusqu'au dernier moment, j'ai pensé que Kirsten allait admettre son alcoolisme, accepter de se soigner et réintégrer le foyer familial) à la doxa hollywoodienne, le film mérite d'être vu. Même s'il faut au préalable s'ingurgiter de longues et pénibles scènes d'autodestruction éthyliques (la séquence dans la serre notamment, une véritable épreuve).
Et puis il y a cet incroyable et excellent choix de casting qu'est Lee Remick dans le rôle de Kirsten. Quelle idée de génie d'avoir choisi une actrice aussi solaire et scandinavement saine que Lee pour incarner la déchéance de Kirsten, ses vêtements s'assombrissant au fur et à mesure de sa descente aux abîmes.

lundi 28 février 2011

Gone with the wind (Victor Fleming, 1939)

C'est sans doute la peur d'être déçu qui m'a fait différer jusqu'ici le visionnement du film de tous les superlatifs. Cette même peur qui me fait reculer encore devant The Godfather ou She wore a yellow ribbon.
J'avais bien tort tant Gone with the wind se révèle une entreprise passionnante de bout en bout en premier lieu grâce à l'adoption d' un point de vue clair même et surtout parce qu'il s'agit du point de vue des vaincus. Ce qui était possible en 1939 serait aujourd'hui impensable.
Ma seule réserve majeure concerne étrangement Olivia de Havilland. Non pas qu'elle ne soit à la hauteur du rôle mais tout simplement parce que son personnage n'a rien à défendre. Perpétuellement dans la compassion et l'empathie, Miss Melly traverse les 3h30 du film sans montrer une once d'évolution. Son caractère, dont l'effacement est destiné à mettre en valeur celui de Scarlett, est d'une parfaite fadeur. Pas une parole plus haute que l'autre, pas un geste d'emportement, juste un sourire mielleux en toutes circonstances. J'avoue avoir du mal à comprendre pourquoi Livvie tenait tant à ce rôle. Elle alla jusqu'à risquer une éviction pure et simple de la Warner (au cas où Jack Warner aurait eu vent des auditions secrètes avec Selznick) pour décrocher ce rôle de Mélanie Hamilton.
Autant son personnage ne suscite chez le spectateur qu'un ennui profond, autant celui de Rhett emporte l'adhésion dès sa première apparition à Twelve Oaks. Cynique, roublard, joueur, aventurier, affairiste, Rhett Butler est un personnage en or auxquels pourtant bien peu ont cru avant que le film ne se fasse (Cooper qui fut un temps envisagé avant Flynn déclina en déclarant :"Gone With the Wind is going to be the biggest flop in Hollywood history. I’m glad it’ll be Clark Gable who’s falling flat on his nose, not me.") Même Gable, plébiscité par le public n'était pas chaud. L'échec de So red the rose de Vidor et d'autres films consacrés à la guerre civile n'était pas fait pour l'encourager mais la volonté de ne pas décevoir son public l'emporta sur ses réticences et il accepta à contrecoeur le rôle de Rhett ("I think I know now how a fly must react after being caught in a spider's web.")
Je n'ai jamais eu pour Gable la fascination que j'entretiens pour le Duke, Flynn, Grant, Mason ou Cliff mais celui qu'on surnomma The King of Hollywood m'a bluffé. J'irai même jusqu'à dire que lorsqu'il est absent du film, l'intérêt retombe. Bien sûr que j'aurai aimé voir le diable de Tasmanie en gentleman sudiste (il y aurait apporté vraisemblablement une touche plus sombre, plus insaisissable) mais je doute que Flynn aurait été capable de varier son jeu comme Gable. Il réussit absolument tout ce qu'il entreprend. Irrésistiblement gouailleur lorsqu'il surprend Scarlett après ses aveux à Ashley chez les Hamilton, sûr de lui avec un zeste d'arrogance lorsqu'il est seul parmi ses camarades sudistes à s'opposer à la guerre, incroyablement élégant lors du bal en l'honneur des combattants, valeureux lorsqu'il parvient à sauver Scarlett et Mélanie des flammes d'Atlanta, terrassé par le chagrin après la mort de Bonnie, cet homme possède tous les registres et je connais peu d'acteurs pouvant mêler aussi habilement une vraie hardiesse physique à un port aussi éminemment patricien.
Une scène lui posa pourtant beaucoup de difficultés. Lorsque Scarlett est alitée après une fausse couche provoquée par sa chute dans le grand escalier de Tara, Rhett est bouleversé. Lorsqu'on procéda au tournage, Gable ne voulait pas pleurer même si Fleming le souhaitait car il s'en sentait incapable. Olivia le prit à part et réussit à le convaincre. Gable y parvint et le plan reste l'un des plus forts d'un film en peu avare en moments épatants. Après un panoramique latéral partant du balcon sous la pluie, la caméra s'arrête en gros plan sur Rhett la main dans les cheveux, dévasté par le chagrin, incapable d'entendre Mélanie qui frappe à la porte. Pour ce seul plan, Gable aurait du obtenir cent fois l'oscar du meilleur acteur masculin. Le film en récolta 10 mais hélas pas Gable.

vendredi 25 février 2011

The snake pit (Anatole Litvak, 1948)

Au premier plan de La Fosse aux serpents, on aperçoit une branche de platane où deux oiseaux gazouillent puis un panoramique oblique dégringole sur une femme perdue dans ses pensées. Au second plan, les deux oiseaux s'envolent de l'arbre. Une voix d'homme se fait alors entendre hors-champ puis une deuxième voix, féminine celle-là mais toujours hors-champ et enfin Virginia, le regard halluciné, se met à parler à voix haute bien que la caméra n' offre aucun contrechamp d' un interlocuteur possible. L'effet est saisissant et on se dit que si Litvak tient tout le film à ce niveau, la découverte risque d'être d'importance.
La surprise n'est pas moins grande de découvrir Olivia de Havilland en Virginia Cunningham, cette femme internée pour schizophrénie au Juniper Hill State hospital. Mal coiffée, à peine maquillée, le regard apeuré, les épaules rentrées comme une petite fille, elle n'a plus rien à voir avec l'insolente Arabella de Captain Blood, ni avec les costumes chamarrés de Lady Marian. Dans un emploi prévu au départ pour Gene Tierney (qui dut décliner l'offre étant enceinte) *, Olivia est fascinante même si son rôle a tout du tremplin à oscar (que Jane Wyman lui chipera d'ailleurs pour son rôle dans Johnny Belinda). Multipliant les visites d'hôpitaux psychiatriques, Livvie se jeta à corps perdu dans cette prise de rôle comme pour faire oublier le temps perdu à endosser des rôles que Jack L. Warner lui imposait et qu'au fond elle détestait (que ce soit les faire-valoir d'Errol Flynn ou les filles à papa dépourvues de jugeote). Son modèle, c'était Bette Davis et elle voulut prouver qu'elle était capable de l'égaler. La transformation physique d'Olivia est bluffante (elle refera le coup l'année d'après avec The Heiress de Wiliam Wyler) et son travail de comédienne force le respect. Le problème vient justement de ce travail, parfois trop visible, notamment dans les scènes d'électrochocs. On est davantage impressionné qu'ému. Et sa prestation est à l'image du film. Sérieux, documenté, original (les films sur les dérives des institutions psychiatrique n'étaient pas légion alors), intriguant (le flash-back des vingt premières minutes est captivant) mais manquant d'une patte créatrice qui transforme un bon film à thèse (même si la vision de la psychanalyse demeure empreinte de naïveté) en un authentique chef d'oeuvre.
* : pour autant que j'apprécie l'incarnation de Livvie, j'aurais adoré voir Gene en Virginia!

dimanche 20 février 2011

The shop around the corner (Ernst Lubitsch, 1940)







C'est peut-être le plan le plus désespéré de toute l'oeuvre du berlinois. Plus encore que celui des immeubles varsoviens en ruine (To be or not to be, 1942) et bien plus que les scènes contrites de Broken Lullaby.
L'homme avec qui Klara (Margaret Sullavan) entretient une correspondance ne s'est pas présenté au rendez-vous qu'il lui avait fixé (ou plutôt, il s'est présenté mais ne s'est pas fait reconnaître). Klara a passé son humeur sur son collègue de travail (James Stewart) qui se trouvait par hasard dans le café du rendez-vous (en fait, le mystérieux correspondant). Elle se rend ensuite à la poste, espérant y trouver une lettre d'excuse. Après un rapide travelling sur les boîtes postales, le point se fait sur le numéro du casier puis sur la main gantée qui ouvre la boîte. Cette main palpe les parois de l'alvéole sans rien y trouver. Avec une incroyable économie de moyens (pas de musique extradiégétique, une image fixe), Lubitsch plonge le spectateur dans le plus parfait désarroi (d'autant que lui sait à l'avance que la boîte est vide). Sur l'image qui suit, Klara semble avoir vieilli de dix ans, faisant passer sur cette comédie une amertume qui contaminera jusqu'au happy end, plus désenchanté qu'à l'habitude.

mercredi 16 février 2011

Intermezzo : A love story (Gregory Ratoff, 1939)


N'est pas Sirk qui veut et tous les mélodrames n'ont pas la flamboyance d'All that heaven allows. Ils ne sont bien souvent qu'une collection de clichés, bien cadenassée par les règles puritaines du Code Hays. Et Escape to happiness (l'autre titre d'Intermezzo) ne fait hélas pas exception à la règle. Un violoniste, Holger Brandt (Leslie Howard) au faîte de sa gloire internationale s'éprend de la brillante professeur de piano de sa fille, Anita Hoffman (Ingrid Bergman). Pour elle, il abandonne le foyer familial et les deux s'installent momentanément sur la côte d'Azur mais le premier accompagnateur d'Holger vient (l'air de rien) le rappeler à ses devoirs et incite Anita (Ingrid Bergman) à s'effacer pour que le cercle familial se reforme, tout ça avec à la clé, punition divine pour le mauvais père (sous la forme d'un accident de la voie publique pour sa fille) et rédemption lacrymale pour tous. Le Code Hays autorisait la représentation de l'adultère à condition qu'il ne fut pas encouragé et dès les premiers plans sous le chaud soleil cannois, on pressent que l'idylle des deux tourtereaux ne va pas tarder à virer saumâtre.
Seuls le talent, le naturel et l'incroyable beauté d'une Ingrid Bergman d'à peine 24 ans nous ont fait tenir jusqu'au bout de ce monument de conformisme moral qui ne dure pourtant que 66 minutes. La suédoise (dont l'accent scandinave est dix fois plus perceptible que dans Notorious 7 ans plus tard) débarquait à Hollywood, pressé par Selznick qui, désireux d'en faire la nouvelle fiancée de l'Amérique, lui fit tourner ce remake d'un de ses plus grands succès suédois (tourné seulement 3 ans auparavant). Tout au long du film, elle ne se départit jamais complètement d'une certaine gaucherie (elle ne sait pas toujours quoi faire de ses longs abattis) mais les nombreux gros plans nous permettent d'apprécier son regard d'une ardeur déjà peu commune. C'est peut-être sur le plan dont sont extraits les deux photos ci-dessus que Gregory Ratoff met le plus en valeur son talent de comédienne . Sur un court plan fixe en légère contreplongée, Anita regarde pour l'une des dernières fois son amant s'exercer à la mandoline. Tendrement, elle détache son bras du mur et imperceptiblement s'efface du champ de vision pour devenir une ombre ("You don't look real in this light" lui dit Holger). Il ne faut qu'un léger mouvement de bras et une silhouette qui s'estompe pour qu'une immense actrice fasse immédiatement sentir sa différence.

samedi 12 février 2011

The Adventures of Robin Hood (William Keighley, Michael Curtiz, 1938)

C'est une question qui hante de nombreux cinéphiles : jusqu'où ces deux-là ont-ils été et quelle fut l'exacte nature de leur relation ? L'un des plus célèbres duos hollywoodiens de tous les temps (8 films en seulement 6 ans) fut-il davantage qu'un couple mythique à l'écran ?
Olivia de Havilland éprouva indéniablement pour le bel australien une attirance proche du coup de foudre sur le tournage de Captain Blood et Flynn ne fut pas insensible au charme de ses grands yeux juvéniles (rappelons qu'elle avait sept ans de moins que lui et moins de 20 ans au moment de leur premier film ensemble). Pour jouer avec constance les ingénues, Livvie n'en était cependant pas une et elle sentait confusément qu'une aventure avec une homme marié (Flynn était l'époux d'une actrice française sur le déclin, Lili Damita) aurait des effets déplorables sur la poursuite de sa carrière (ce qui restera d'ailleurs pendant très longtemps sa seule priorité). Dans le même temps, le diable de Tasmanie avait une façon bien à lui de montrer son affection. Sur le tournage de The charge of the light brigade, il multiplia les blagues à son encontre (comme glisser un serpent mort dans son paquetage) et sur Robin Hood, il n'hésita pas à lui saboter sa belle tirade du banquet dans la forêt de Sherwood en agitant nerveusement une brindille espiègle. Au contraire de ce que Flynn espérait, cela l'éloigna d'Olivia. Elle fut blessée par ces mauvaises manières et décida de lui jouer un tour à sa façon.
Avant d'aller plus loin, il faut, au préalable, replacer la scène dans son contexte. Sur l'insistance de Flynn, la réalisation de The adventures of Robin Hood avait été confiée à William Keighley (avec lequel il avait déjà tourné The Prince and the Pauper en 1937), un metteur en scène plus souple et plus amical que l'irascible Curtiz*. Oui mais voilà, Keighley avait accumulé les retards et ne s'était pas montré à la hauteur des espérances du producteur Hal Wallis en matière d'énergie et de mise en place des scènes de foule. Il fut donc débarqué et remplacé par le hongrois tyrannique qui en profita pour retourner quelques scènes dont Wallis n'était pas satisfait et notamment la scène d'amour entre Lady Marian et Robin après l'évasion du gibet. Curtiz ni Flynn n'étant du genre à s'attendrir, la séquence fut expédiée en moins de deux minutes (avec notamment un plan de coupe tourné antérieurement et en complet décalage par rapport au décor) avec simplement le plaisir de voir Errol et Livvie s'embrasser à pleine bouche (ce qui était très peu fréquent à l'époque). Selon la future Melanie de Gone with the wind, la scène préalablement tournée (et hélas, hélas, hélas, irrémédiablement perdue depuis) par Keighley était beaucoup plus tendre et sensuelle, l'occasion pour elle de rendre la monnaie de sa pièce à son si taquin partenaire. Laissons-lui maintenant la parole : "And so we had one kissing scene, which I looked forward to with great delight. I remember I blew every take, at least six in a row, maybe seven, maybe eight, and we had to kiss all over again. And Errol Flynn got really rather uncomfortable, and he had, if I may say so, a little trouble with his tights." Le message était on ne peut plus clair : Here's what you're missing, big boy !

* : Dans leur justement célèbre 50 ans de cinéma américain, Tavernier et Coursodon opposent le travail de Keighley et de Curtiz donnant tout le crédit du film au hongrois (et effectivement, le duel final (ah, ces jeux d'ombre !) est une splendeur !). Je serai moins sévère qu'eux avec Keighley qui dans un style plus détendu, réussit parfaitement toutes les scènes où Robin assemble sa troupe (j'ai un gros faible pour la séquence avec Friar Tuck (merveilleux Eugene Palette!))

mercredi 9 février 2011

Post coïtum animal triste (Brigitte Roüan, 1997)



Passer de la photographie de Ted Tetzlaff pour Notorious à la photographie de Post coïtum animal triste, c'est comme déménager de la villa Médicis pour un pavillon de la banlieue de Montluçon. Le choc est rude ! Pourquoi tant de films français des années 80-90 ont-ils une image aussi laide ? Était-ce une obligation contractuelle ? Pour que les chaînes de télévision en acceptent le financement ? Du film, il n y a hélas pas grand-chose de visuel à retenir. Métaphores légères comme une pile du viaduc de Millau (la chatte en chaleur qui ouvre le film, le petit nuage symbolisant l'extase...), esthétique de téléfilm, la forme est loin d'épouser les tourments de Diane. Le sujet méritait un traitement autrement percutant. Et, de fait, on observe la souffrance de cette femme abandonnée sans jamais éprouver d'empathie. A deux exceptions près dont ce plan où Diane vient demander des comptes à son jeune amant. Habillée à dessein comme une mondaine, elle détonne dans ce décor anonyme d'une salle d'attente d'une organisation humanitaire et face à un interlocuteur en tee shirt. Derrière Emilio, des posters d'enfants souffrants donnent une touche dérisoire au drame qui se joue au premier plan. L'arrivée d'une jeune figurante par la droite, se tenant donc du côté d'Emilio, confirme la fin de partie. Le temps de Diane est passé. Celle-ci refuse de jouer profil bas (regardez comme elle le toise !) et, aveuglée de fureur d'être abandonnée, donne un coup de boule désespéré à celui qui, quelques heures plus tôt, la comblait d'extase. Rare et beau moment de cinéma dans un film qui en compte si peu.

samedi 5 février 2011

The charge of the light brigade (Michael Curtiz, 1936)

Intrépide, loyal, impavide, Errol Flynn était le héros de mes dix ans. Qu'il soit affublé d'un collant (The Adventures of Robin Hood), botté à la proue du navire (The sea hawk) ou sanglé dans un uniforme de l'armée impériale, c'était mon idole, l'idole d'une époque où le second degré n'avait pas tout contaminé et où la musique était invariablement signée Max Steiner.
Trente quatre ans plus tard, la statue tient encore debout. Tout ce que j'ai pu lire sur lui ne me le rend pas moins fascinant. Bien au contraire. Moins marmoréen sans doute mais ô combien humain. Il me faudra une vie pour cerner tous les contours du personnage.
Wolfish et ce, jusqu'à son dernier souffle, lettré (il était doué d'un vrai talent de plume), instable (3 mariages et demie conjugués à une vraie bougeotte géographique), morphinomane (une addiction contractée en raison de problèmes de dos récurrents suite à ses nombreuses chutes de cheval), et bien plus encore, loin de l'image simpliste véhiculée par quelques biographes malveillants. Un misérable dont je tairai le nom a voulu le caricaturer en espion nazi, lui, le fervent défenseur de la République espagnole, vérifiant l'adage : "On ne prête qu'aux riches". A 50 ans lorsque sa dernière fiancée (Beverly Aadland, 15 ans) lui ferma les yeux, il avait parfaitement accompli la promesse qu'il s'était faite : "I intend to live the first half of my life. I don't care about the rest."
Mais, et je sens la question vous tarauder, était-il un grand acteur ? Son spectre était certes moins large que Stewart ou Grant (pour rester dans les acteurs de sa génération) mais il capturait la lumière comme peu (le Duke avait aussi cet immense talent là).
Entre Captain Blood (son film précédent) et The charge of the light Brigade, les progrès sont sidérants. Il a appris à jouer en deçà (underplay disent les Américains) et on peut considérer Curtiz (dont les aboiements l'horripilaient) comme en partie responsable de cette transformation. The charge n'est ni Gentleman Jim, ni They died with their boots on mais sous le froid soleil de Lone Pine, un acteur et pas seulement un swashbuckler est en train de naître. Pour la première fois aussi (même s'ils étaient déjà appariés dans Blood), une scène va matérialiser la magie du couple Errol Flynn- Olivia de Haviland. Replaçons-là dans son contexte. Geoffrey (Errol) vient de comprendre que sa fiancée Elsa (Livvie) en pince pour son gringalet de frère Perry. Même si la situation paraît hautement improbable (qui préfèrerait boire du Carré des vignes plutôt qu'un Montrachet ?) , Errol la joue grand seigneur et promet à Elsa de veiller à ce que son frère ne soit impliqué dans aucune opération militaire dangereuse en Crimée. Les derniers mots qu'Elsa adresse à Geoffrey dans cette séquence sont : " Tell him that his brother is the finest man I've ever known". Après ces paroles et alors qu'Elsa quitte la pièce, la caméra fait un léger travelling avant sur le visage de Geoffrey, faussement impassible (pas un sourcil ne bouge), intérieurement bouleversé. Pour la dernière fois dans le film, Elsa et Geoffrey sont réunis dans le même plan. En disant adieu à l'amour, Geoffrey se mue en figure de sacrifice et donne à son rôle une épaisseur que la seule vengeance contre Surat Khan ne pouvait lui donner. Flynn, bouleversant, ne faisant presque rien (le propre des géants) vient de signer sa première incarnation majeure.